Fumito Ueda: Pourquoi l’innovation n’est plus essentielle dans le gameplay

AuthorArticle written by Florian Reumont
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Publication date22/07/2025
Illustration emblématique du jeu Shadow of the Colossus, montrant une confrontation entre un jeune héros et un gigantesque colosse dans une vaste plaine brumeuse. Au premier plan, le protagoniste, armé d'une épée, se tient face à l'immense créature, dont l’apparence mélange pierre, métal et fourrure. Le colosse, imposant et quadrupède, est partiellement recouvert d’armures gravées de motifs anciens, et une lumière divine jaillit de son crâne vers le ciel nuageux. À gauche, une ruine monumentale émerge du brouillard, accentuant le sentiment de mystère et de solitude de l’environnement. L’ambiance générale est dramatique et mélancolique, soulignée par la lumière diffuse du coucher ou lever de soleil, avec des tons gris, verts et dorés qui amplifient la grandeur et la gravité de la scène.

Fumito Ueda, le créateur visionnaire derrière ICO, Shadow of the Colossus et The Last Guardian, n’est pas un inconnu lorsqu’il s’agit de repousser les limites de l’interaction vidéoludique. À l’occasion d’un échange avec Keita Takahashi, lui-même réputé pour sa série décalée Katamari Damacy, Ueda a récemment livré une réflexion étonnante sur l’évolution du gameplay dans les jeux modernes.

L’interview, menée à l’occasion de la promotion de To a T, le prochain titre de Takahashi, a rapidement glissé sur le terrain des mécaniques de jeu. En toute franchise, Takahashi a admis que son nouveau jeu n’introduirait pas de mécaniques inédites. Une remarque qui a déclenché une réaction remarquable de la part d’Ueda:

« Je ne pense pas que nous soyons à une époque où nous devons proposer de nouveaux concepts et de nouvelles mécaniques de jeu à chaque fois. »

Une déclaration qui peut sembler paradoxale de la part d’un créateur célèbre pour ses innovations audacieuses. Pourtant, elle illustre une prise de conscience partagée par de nombreux développeurs contemporains: dans une industrie de plus en plus mature, la nouveauté n’est peut-être plus une nécessité absolue.

Dans cet article, nous allons décrypter ce que cette affirmation signifie réellement, la replacer dans un contexte historique, et examiner comment elle s’applique au paysage vidéoludique actuel.

 

Évolution historique des mécaniques de gameplay

L’ère dorée de l’innovation ludique

Dans les années 80 et 90, chaque jeu vidéo semblait inventer quelque chose de nouveau. C’était une époque de bouillonnement créatif où la technique imposait l’innovation: les limitations techniques obligeaient les développeurs à se réinventer sans cesse. Super Mario Bros. a redéfini la plateforme, The Legend of Zelda a posé les bases du jeu d’action-aventure, tandis que Tetris imposait une logique nouvelle du puzzle game.

Les années 2000 ont continué sur cette lancée, notamment avec la montée de studios comme Valve (Half-Life), FromSoftware (Demon's Souls), ou encore Team ICO lui-même. Chaque œuvre apportait son lot de mécaniques uniques: la gravité manipulée dans Portal, l’absence d’interface dans Shadow of the Colossus, ou la coordination asymétrique dans Brothers: A Tale of Two Sons. Les jeux vidéo étaient alors perçus comme un terrain d’expérimentation fertile, où chaque nouvelle IP cherchait à « réinventer la roue ».

Du jamais-vu au nouveau raffinement

Cependant, au fil du temps, cette pression à innover mécaniquement s’est atténuée. Les studios ont commencé à privilégier le raffinement plutôt que la rupture. Cela ne signifie pas que les idées nouvelles ont disparu, mais qu’elles sont devenues plus rares, plus subtiles, souvent fusionnées à des mécaniques déjà éprouvées.

Les blockbusters d’aujourd’hui sont largement construits sur des fondations bien connues. Assassin’s Creed, Far Cry, ou encore The Last of Us Part II ne réinventent pas le gameplay de fond en comble, mais l’optimisent. La répétition de boucles de gameplay solides, enrichies de nouvelles animations, d’UX peaufinée et de narrations dynamiques, devient une stratégie dominante.

Les jeux indépendants ont, eux aussi, pris ce virage: ils explorent moins les mécaniques brutes et davantage la manière dont celles-ci s’expriment émotionnellement ou thématiquement. Le gameplay reste important, mais il est souvent mis au service de l’atmosphère, du propos, ou de l’accessibilité.

 

Le point de vue de Fumito Ueda

Citation clé et explication

Lors de son échange avec Keita Takahashi, Fumito Ueda a prononcé une phrase qui résonne comme une rupture avec la vision romantique du game designer-artiste:

« Je ne pense pas que nous soyons à une époque où nous devons proposer de nouveaux concepts et de nouvelles mécaniques de jeu à chaque fois. »

Cette déclaration, loin d’être une résignation, reflète plutôt une évolution de sa propre perception du jeu vidéo. Celui qui a autrefois fasciné le monde avec un gameplay épuré mais profond, choisit aujourd’hui de reconnaître que l’impact d’un jeu ne dépend plus exclusivement de sa capacité à introduire une mécanique inédite.

Ueda semble désormais privilégier l’harmonie globale d’une œuvre. Ce qui compte n’est plus seulement ce qu’on fait dans un jeu, mais comment on le ressent. La mécanique ne devient pas obsolète, mais elle cesse d’être le cœur exclusif de l’expérience. C’est une pensée qui rejoint celle d’autres grands créateurs du médium, comme Hideo Kojima ou Jenova Chen, pour qui l’émotion, la narration, ou la cohérence esthétique peuvent primer sur l’innovation purement ludique.

Pourquoi ça fait sens au XXIᵉ siècle

L’époque des grandes révolutions de gameplay est de plus en plus difficile à reproduire. D’abord parce que le médium a atteint un haut niveau de maturité. La majorité des concepts fondamentaux ont été explorés: saut, tir, interaction, boucle de récompense, boucle de punition… Toutes ces bases ont été affinées jusqu’à un certain point d’équilibre.

Ensuite, les contraintes économiques et industrielles freinent l’audace. Créer une nouvelle mécanique, c’est prendre un risque de design, mais aussi un risque de compréhension pour le joueur. Et dans une industrie où les budgets peuvent dépasser ceux du cinéma, les éditeurs préfèrent souvent miser sur des formules qui ont déjà prouvé leur efficacité.

Enfin, les attentes des joueurs ont changé. Aujourd’hui, un bon jeu ne se définit plus par la nouveauté de son gameplay, mais par sa capacité à offrir une expérience cohérente, fluide et engageante. Cela implique parfois de reprendre des mécaniques connues pour mieux les intégrer à un univers narratif, à une direction artistique forte, ou à une jouabilité accessible.

 

Exemples contemporains: itérations et qualité

AAA qui renforcent l’existant

L’industrie du jeu vidéo actuelle regorge d’exemples de titres à gros budget qui misent davantage sur le perfectionnement que sur la réinvention. Prenons Assassin’s Creed Mirage, par exemple. Ce jeu d’Ubisoft ne révolutionne pas la formule de la série, mais il la condense et l’honore, en revenant à l’infiltration pure tout en la modernisant. Il s'agit là d’un choix stratégique: capitaliser sur une base éprouvée pour proposer une expérience plus fluide, plus esthétique, et mieux rythmée.

Même chose pour Call of Duty, FIFA, ou The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom. Ce dernier est souvent cité pour sa créativité, mais il n’introduit pas tant de nouvelles mécaniques que cela — il sublime celles de Breath of the Wild en les combinant différemment (ultra-hand, construction, chimie de l’environnement). La véritable nouveauté est dans la liberté d’approche et la densité du contenu.

Cela montre bien que l’on n’est plus dans une course à l’invention mécanique, mais dans une démarche de raffinement progressif. Une boucle de gameplay bien conçue, combinée à des animations peaufinées, une interface fluide et une direction artistique marquée, peut suffire à créer une œuvre marquante.

Indépendants qui innovent subtilement

Côté jeux indépendants, on pourrait croire que le champ est plus propice à l’expérimentation pure. Et c’est parfois vrai. Mais même là, l’approche a changé. Des titres comme Celeste ou Hades n’inventent pas de nouvelles mécaniques fondamentales — ils reprennent les codes du platformer exigeant ou du rogue-lite — mais ils y ajoutent une profondeur émotionnelle, une fluidité et un équilibre rarement vus auparavant.

Among Us, par exemple, n’est pas le premier jeu d’enquête sociale. Mais sa simplicité, son accessibilité et sa capacité à créer du suspense via une mécanique asymétrique bien pensée lui ont permis d’émerger avec force. Il s’agit là d’une innovation contextuelle plus que mécanique.

L’accent est mis sur l’expérience vécue plus que sur la technologie brute. Les développeurs savent désormais qu’une mécanique, même ancienne, peut être transcendée si elle est bien intégrée à l’univers, aux personnages, ou à la narration.

 


En quelques mots

Fumito Ueda, à travers ses mots simples mais significatifs, résume une transition silencieuse dans l’industrie vidéoludique: nous ne sommes plus dans l’ère où chaque nouveau jeu devait briser des codes ou inventer des mécaniques inédites pour exister. Au lieu de cela, les studios — grands ou petits — se tournent vers la maîtrise, la cohérence et l’affinage.

Cela ne signifie pas que l’innovation est morte, mais qu’elle a changé de visage. Elle est désormais diffuse, subtile, et souvent intégrée à des systèmes éprouvés. L’émotion, l’accessibilité, l’harmonie entre gameplay, esthétique et narration sont devenus les véritables terrains de jeu des créateurs.

Le prochain titre de Ueda, Project Robot, et celui de Takahashi, To a T, illustreront probablement chacun à leur manière cette évolution. Le premier promet une atmosphère inédite, fidèle à l’ADN de son créateur, tandis que le second mise sur une approche plus conceptuelle, presque métaphorique.

Finalement, la vraie question n’est peut-être plus « qu’est-ce que ce jeu fait de nouveau ? » mais plutôt « comment ce jeu me fait-il ressentir quelque chose d’unique ? »

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