Eidos-Montréal: licenciements en série et projets annulés

AuthorArticle written by Vivien Reumont
|
Publication date04/12/2025

Eidos-Montréal traverse une période pour le moins turbulente. Déjà fragilisé par une première vague de licenciements en mars 2025, le studio canadien vient de se séparer de plusieurs autres employés, laissant planer de sérieuses interrogations sur son avenir. Ce qui devait être un redressement semble aujourd’hui glisser vers une restructuration plus profonde, marquée par l’annulation de projets internes et une dépendance croissante aux partenariats extérieurs, notamment avec Microsoft.

Cette situation n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une tendance plus large de l’industrie vidéoludique, où les studios dits « AAA » peinent à maintenir un équilibre entre ambitions créatives, viabilité économique et pression des éditeurs. Pourquoi Eidos-Montréal en arrive-t-il là ? Quels jeux sont concernés ? Et surtout, quelles conséquences pour les talents du studio comme pour les joueurs ?

Dans cet article, nous faisons le point sur la situation actuelle d’Eidos-Montréal, entre départs, annulations et recentrage stratégique, afin de mieux comprendre les enjeux d’un futur encore très incertain.

 

Une nouvelle vague de licenciements en 2025

Contexte : après les 75 départs de mars

En mars 2025, Eidos-Montréal avait déjà procédé à une première vague de licenciements touchant 75 employés. Cette décision brutale avait surpris, alors que le studio semblait reprendre son souffle après des années de projets en demi-teinte et la revente de ses actifs occidentaux par Square Enix à Embracer Group.

Ce premier plan social avait été justifié par une volonté de rationaliser les effectifs, dans un contexte économique incertain et un secteur en pleine mutation. Mais à peine quelques mois plus tard, l’entreprise remet le couvert, signalant que cette première série de départs n’était peut-être que la partie émergée de l’iceberg.

Qui est concerné ? Témoignages récents (exemple de Samuel Daher)

La seconde vague, survenue à l’automne 2025, concerne une douzaine de collaborateurs, dont plusieurs figures clés du développement. Parmi eux, Samuel Daher, responsable du gameplay, a exprimé sa déception sur les réseaux sociaux. Dans une publication sobre mais révélatrice, il a évoqué la perte d’un projet sur lequel il travaillait depuis plusieurs années, confirmant implicitement les rumeurs de projets internes annulés.

D’autres anciens membres de l’équipe ont partagé leur désarroi, pointant du doigt un manque de transparence dans les orientations stratégiques prises par la direction. Le climat au sein du studio semble s’être lourdement dégradé, avec des équipes désorientées, parfois coupées de toute visibilité sur l’avenir de leurs propres projets.

« On avait encore des milestones à atteindre, et du jour au lendemain, tout a été mis en pause. Personne ne nous a expliqué clairement pourquoi. »
— Ancien développeur sous anonymat

Ces témoignages, bien que fragmentaires, brossent un tableau inquiétant de la situation chez Eidos-Montréal : un studio autrefois synonyme d’excellence créative, aujourd’hui en mode survie.

 

Des projets annulés ou gelés

Pourquoi ces annulations ? (coûts, restructuration, stratégie)

L’annulation de plusieurs projets chez Eidos-Montréal ne résulte pas d’un simple réalignement artistique, mais plutôt d’une réaction en chaîne à une série de contraintes économiques et stratégiques. Depuis son rachat par Embracer Group, le studio doit faire face à une gestion plus centralisée et à une exigence accrue de rentabilité rapide. Dans un contexte où les budgets explosent pour des rendements souvent décevants, les projets jugés risqués ou trop coûteux sont simplement mis de côté.

Les insiders parlent d’un projet en développement depuis 2019, aujourd’hui suspendu indéfiniment. Malgré plusieurs années de travail, il ne présenterait plus les garanties financières suffisantes pour justifier une mise sur le marché. D'autres initiatives internes ont été carrément supprimées avant même d’atteindre la phase de préproduction.

La logique derrière ces annulations semble claire : réduire les dépenses fixes et concentrer les ressources sur des projets soutenus financièrement par des partenaires externes, comme Microsoft.

Quels projets impactés ? (ce qu’on sait, ce qui reste flou)

Peu d’informations officielles ont filtré sur les titres exacts concernés. Toutefois, selon Insider Gaming, la quasi-totalité des projets d’Eidos-Montréal a été suspendue ou annulée. Seuls les partenariats en cours avec Xbox subsisteraient encore, ce qui réduit le portefeuille du studio à une poignée d’initiatives.

Cela signifie qu’aucun jeu original signé Eidos-Montréal n’est actuellement en développement actif sans appui extérieur, un changement radical pour un studio historiquement reconnu pour des franchises comme Deus Ex, Thief ou Shadow of the Tomb Raider. Ce vide créatif pourrait non seulement démoraliser les équipes restantes, mais aussi effriter la marque de fabrique du studio auprès du public.

« Ce n’est pas tant l’annulation d’un jeu qui fait mal, mais le sentiment qu’on ne contrôle plus notre avenir. »
— Ancien level designer d’Eidos-Montréal

Entre projets abandonnés, talents qui s’en vont, et vision artistique étouffée, le studio semble perdre peu à peu sa raison d’être originelle.

 

Une réorientation vers le soutien pour Microsoft / Xbox

Les collaborations actuelles : Fable et Grounded 2

Privé de ses projets internes, Eidos-Montréal a désormais recentré ses activités sur des collaborations externes, principalement avec Microsoft. Deux jeux majeurs sont concernés : le très attendu reboot de Fable, développé par Playground Games, et Grounded 2, suite du jeu de survie coopératif d’Obsidian Entertainment.

Dans ces partenariats, le studio québécois agit comme soutien technique et créatif, apportant son savoir-faire en design, en direction artistique et en gameplay. Si ce rôle d’« assistance premium » est valorisé par les éditeurs partenaires, il reste un pas de côté pour un studio habitué à porter ses propres licences. L’un des avantages évidents de cette réorientation est l'apport financier stable, un filet de sécurité dans une période où la rentabilité à court terme devient prioritaire.

Mais cette stabilité a un prix.

L’impact de ce virage sur l’identité et l’indépendance du studio

Eidos-Montréal, qui avait bâti sa réputation sur des franchises ambitieuses et distinctives, se retrouve aujourd’hui dans un rôle secondaire, certes important, mais loin de l’élan créatif qui le caractérisait. De nombreux observateurs s’interrogent sur la pérennité d’un studio qui ne crée plus ses propres jeux. Est-ce un passage temporaire en attendant de meilleurs jours ? Ou la nouvelle norme imposée par Embracer Group ?

Le danger, selon certains ex-employés, est de devenir un studio d’appoint, prestataire de luxe pour d’autres créateurs sans pouvoir proposer de nouvelles IP. Une situation qui pourrait nuire à l’attractivité du studio auprès des talents, surtout les profils seniors attirés par la création originale.

« Quand tu passes de la direction d’un Deus Ex à faire du QA sur Grounded 2, même si c’est un bon jeu, il y a une perte de sens. »
— Ancien directeur créatif

Si Eidos-Montréal parvient à naviguer cette phase de transition, il pourrait en ressortir plus solide. Mais à long terme, le manque de projets maison risque de diluer l’âme du studio.

 

Quelles perspectives pour l’avenir ?

Risque d’une nouvelle vague de licenciements

Les informations relayées par Insider Gaming sont sans équivoque : le pire pourrait être encore à venir. Selon plusieurs sources internes, d’autres licenciements sont attendus une fois les projets avec Microsoft terminés. En clair, une fois la contribution d’Eidos-Montréal à Fable et Grounded 2 achevée, le studio pourrait se retrouver sans nouvelle mission claire, avec des effectifs trop importants pour assurer seulement de la maintenance ou du soutien.

Ce modèle à flux tendu, sans projets propriétaires en réserve, rend le studio vulnérable à chaque changement de contrat, et alimente une insécurité constante pour les employés. Certains parlent déjà de restructuration en profondeur, voire d’un recentrage total vers un modèle de sous-traitance à long terme, voire une fusion ou un démantèlement.

L’absence d’annonce officielle sur un éventuel nouveau jeu signé Eidos, combinée au silence de la direction sur le long terme, laisse craindre que l’entreprise ne prépare pas vraiment l’avenir, mais tente surtout de gagner du temps.

Ce que cela signifie pour le paysage du jeu vidéo et les studios « AAA »

Le cas d’Eidos-Montréal illustre parfaitement les fractures actuelles de l’industrie vidéoludique, notamment pour les studios AAA. D’un côté, des coûts de production toujours plus élevés ; de l’autre, une pression intense pour assurer des retours sur investissement rapides. Entre ces deux extrêmes, la créativité se retrouve souvent sacrifiée.

Cette crise n’est pas seulement celle d’un studio, mais aussi celle d’un modèle économique qui montre ses limites. La centralisation des ressources, les rachats en chaîne (comme celui par Embracer Group), et la dépendance accrue à des partenaires comme Microsoft ou Sony modifient en profondeur les dynamiques de production. Eidos-Montréal, autrefois laboratoire d’expérimentations ambitieuses, risque de devenir un simple rouage dans une machine industrielle plus vaste, où la créativité doit céder la place à la rentabilité.

« Si un studio comme Eidos n’est plus capable de lancer ses propres jeux, alors qui peut le faire aujourd’hui ? »
— Analyste du marché du jeu vidéo

Les prochains mois seront cruciaux : soit le studio parvient à relancer une nouvelle dynamique interne, soit il continuera à s’effacer lentement dans l’ombre d’éditeurs plus puissants.

 


En quelques mots

Le cas d’Eidos-Montréal n’est pas un simple fait divers dans l’industrie du jeu vidéo. C’est un révélateur d’une transformation plus large, où les studios même les plus réputés doivent désormais jongler entre survie financière, repositionnements stratégiques, et pertes humaines et créatives. Les vagues de licenciements, les projets annulés et la dépendance à Microsoft sont autant de symptômes d’une industrie en mutation, parfois brutale.

Si Eidos-Montréal a su, dans le passé, marquer les esprits avec des titres comme Deus Ex ou Shadow of the Tomb Raider, l’avenir reste très incertain. En l’absence de projets maison, son identité se dilue, et les talents qui ont fait sa réputation s’en vont un à un. À moins d’un revirement stratégique ou d’une nouvelle opportunité créative, le studio pourrait bien ne jamais retrouver sa grandeur passée.

Mais comme souvent dans cette industrie, un seul projet peut suffire à relancer une dynamique. La vraie question est : Eidos-Montréal en aura-t-il encore les moyens et la liberté ?

Share on Facebook Share on Facebook Share on Twitter Share on Twitter Share on Linkedin Share on Linkedin Share on WhatsApp Share on WhatsApp

Similar articles

League Next: la refonte majeure de League of Legends prévue pour 2027 Industry News

22/12/2025

League Next: la refonte majeure de League of Legends prévue pour 2027

Riot Games dévoile League Next, une refonte totale de League of Legends prévue pour 2027. Graphismes, interface, moteur : tout change.

See more
Sony: l'IA pourrait bientôt censurer vos jeux en temps réel New Technologies

22/12/2025

Sony: l'IA pourrait bientôt censurer vos jeux en temps réel

Sony développe une IA pour censurer en temps réel les scènes sensibles dans les jeux. Une innovation qui soulève de nombreuses questions.

See more
Disqualification de Clair Obscur Expedition 33: l'IA en cause Industry News

22/12/2025

Disqualification de Clair Obscur Expedition 33: l'IA en cause

Clair Obscur: Expedition 33 perd ses prix aux Indie Game Awards 2025 pour usage d'IA. Une décision qui relance un débat brûlant.

See more