Ubisoft face à la justice: le cas The Crew relance le débat sur la propriété numérique

AuteurArticle écrit par Vivien Reumont
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date de publication10/04/2025
Course-poursuite effrénée dans les rues d’une métropole nocturne inspirée de Times Square à New York, représentée dans un jeu vidéo de course ou d’action automobile. Au premier plan, deux voitures de sport ultra-performantes sont en pleine fuite : une Aston Martin grise anthracite aux lignes agressives à droite, et une Lamborghini rouge vif à gauche, toutes deux rendues avec un haut niveau de détail et de réalisme.  Derrière elles, plusieurs voitures de police avec gyrophares allumés et sirènes hurlantes tentent de rattraper les fuyards, créant une tension cinématographique intense. La route mouillée reflète les innombrables néons et panneaux publicitaires géants qui illuminent les gratte-ciels environnants, renforçant l’esthétique urbaine et vibrante de la scène.  Des taxis jaunes emblématiques de New York circulent en arrière-plan, accentuant l’effet de chaos urbain. L’image regorge de mouvement, de lumière et de vitesse, symbolisant parfaitement l’adrénaline des jeux de type Need for Speed, The Crew ou Midnight Club, où l’évasion et les poursuites policières sont centrales.

Imaginez acheter un jeu vidéo, y investir des dizaines – voire des centaines – d’heures, pour ensuite le voir disparaître de votre bibliothèque, sans possibilité d’y rejouer. C’est le scénario vécu par des milliers de joueurs après la fermeture des serveurs de The Crew, un jeu de course en ligne lancé par Ubisoft en 2014. Cette décision, survenue en janvier 2024, a relancé un débat brûlant: sommes-nous réellement propriétaires de nos jeux numériques ?

Ubisoft, géant français de l'industrie vidéoludique, a récemment réaffirmé sa position sur la nature des achats numériques. Une réponse qui intervient alors qu’un recours collectif a été déposé en Californie par des joueurs mécontents, estimant avoir été floués. L’affaire, désormais devant les tribunaux, pourrait faire jurisprudence dans une industrie où les frontières entre propriété et accès sont de plus en plus floues.

Alors, que s’est-il réellement passé avec The Crew ? Et pourquoi ce cas pourrait-il bouleverser la relation entre éditeurs et consommateurs ? Décryptage.

 

Contexte de la fermeture de The Crew par Ubisoft

Les raisons invoquées par Ubisoft

Sorti en 2014, The Crew était un jeu de course ambitieux misant sur un monde ouvert immense et une forte connectivité en ligne. Pour Ubisoft, cette architecture technique était la pierre angulaire de l'expérience. Mais comme pour beaucoup de jeux en ligne, maintenir des serveurs coûte cher, surtout lorsque la base de joueurs décline.

Ubisoft a donc annoncé la fermeture définitive des serveurs de The Crew en janvier 2024, près de dix ans après sa sortie. L’entreprise justifie sa décision en expliquant que le jeu ne pouvait pas fonctionner sans connexion aux serveurs, et que les coûts de maintenance n'étaient plus justifiables. Aucun mode hors-ligne ne permettait de continuer à y jouer, rendant le titre tout bonnement injouable, même pour ceux qui l’avaient acheté plein tarif.

Réactions de la communauté des joueurs

La fermeture a provoqué une véritable onde de choc dans la communauté. Sur les réseaux sociaux, les forums et Reddit, les joueurs ont exprimé leur frustration et leur colère. Pour beaucoup, le problème ne résidait pas tant dans la fermeture en elle-même, mais dans ce qu’elle révélait sur la nature des achats numériques: "On pensait avoir acheté un jeu, pas une location déguisée."

Des témoignages se sont multipliés, soulignant l’investissement émotionnel et financier que certains avaient mis dans le jeu, notamment via l’achat de contenu téléchargeable ou de monnaie virtuelle. Ce ressentiment généralisé a finalement donné naissance à une action en justice.

 

Le recours collectif contre Ubisoft

Les motifs de la plainte

En novembre 2024, un recours collectif est déposé en Californie contre Ubisoft. À l'origine de cette action en justice: des joueurs estimant avoir été trompés sur la nature réelle de leur achat. Ils accusent l’éditeur d’avoir présenté le jeu comme un bien que l’on possède, alors qu’il ne s’agissait que d’une licence temporaire d’utilisation, susceptible d’être révoquée à tout moment.

La plainte va plus loin en mettant en avant la dimension économique de cette disparition. En effet, de nombreux utilisateurs avaient encore de la monnaie virtuelle non utilisée au moment de la fermeture des serveurs. Ce qui, selon eux, constitue une perte financière réelle et non symbolique.

Arguments des plaignants concernant la propriété du jeu

Les plaignants cherchent à s’appuyer sur une loi californienne relative aux cartes-cadeaux, qui stipule qu’elles ne peuvent pas expirer. Or, en fermant The Crew, Ubisoft aurait de facto mis fin à l'accès aux ressources numériques que les joueurs avaient achetées, enfreignant potentiellement cette législation.

« On nous a vendu quelque chose comme un produit, mais on découvre qu'on n'a en fait payé que pour un accès temporaire. Et ça, ce n'était pas clair », déclare l’un des plaignants dans les documents judiciaires. Cette plainte pourrait, si elle était retenue, ouvrir la voie à des répercussions majeures pour l’ensemble de l’industrie vidéoludique.

 

La réponse d'Ubisoft face aux accusations

Position d'Ubisoft sur la notion de licence

Ubisoft n’a pas tardé à réagir. Dans un document juridique consulté par le média Polygon, l’éditeur campe fermement sur sa position: les joueurs n’ont jamais acheté le jeu lui-même, mais une licence d’utilisation. Cette distinction, souvent noyée dans les conditions d'utilisation, est au cœur de l’argumentaire de défense de l’entreprise.

Selon Ubisoft, « les clients ont reçu le bénéfice de leur achat et ont été explicitement informés, au moment de cet achat, qu'ils achetaient une licence ». L’éditeur précise que cette licence permettait d’accéder au jeu tant que les serveurs étaient en ligne. Une fois ceux-ci fermés, la prestation promise est considérée comme terminée.

Cette stratégie de communication soulève cependant une question éthique et commerciale essentielle: dans quelle mesure les consommateurs comprennent-ils qu’ils n’achètent pas un produit, mais un service temporaire ?

Tentative de rejet de l'affaire par Ubisoft

Ubisoft a également demandé au tribunal californien le rejet pur et simple de l'affaire. Selon ses avocats, les arguments avancés par les plaignants ne tiennent pas, notamment sur l’assimilation entre la monnaie virtuelle et les cartes-cadeaux. Pour l’éditeur, il s'agit d’éléments internes à un service numérique, soumis à des conditions d'utilisation spécifiques qui diffèrent de celles des cartes cadeaux physiques.

Cette démarche vise à éviter un précédent juridique qui pourrait forcer d'autres éditeurs à rembourser les achats numériques ou à maintenir des services bien après leur rentabilité. Une décision est attendue d’ici le 29 avril 2025, et pourrait marquer un tournant majeur pour la distribution numérique des jeux vidéo.

 

Implications légales et conséquences potentielles

La loi californienne sur les cartes-cadeaux et son application

L’un des axes majeurs du recours collectif repose sur la loi californienne interdisant l’expiration des cartes-cadeaux, une législation pensée pour protéger les consommateurs contre la péremption arbitraire de leur crédit. Or, dans le cas de The Crew, la monnaie virtuelle acquise par les joueurs a disparu avec la fermeture des serveurs, sans compensation, remboursement ou alternative.

Les avocats des plaignants estiment que cette monnaie, bien qu’intangible, représente une valeur financière réelle, notamment parce qu’elle a été achetée avec de l’argent réel. Si cette interprétation venait à être retenue par le tribunal, cela pourrait obliger les éditeurs à revoir la manière dont ils gèrent les monnaies virtuelles et les droits des utilisateurs sur celles-ci.

Cette affaire pourrait faire jurisprudence, ouvrant la voie à de nombreuses plaintes similaires, non seulement aux États-Unis, mais aussi à l’international.

Impact sur l'industrie du jeu vidéo et la question de la propriété numérique

Au-delà de la bataille juridique entre Ubisoft et ses clients, cette affaire soulève un débat plus large: que signifie "acheter" un jeu à l’ère du numérique ? Alors que de plus en plus de titres nécessitent une connexion permanente aux serveurs, les joueurs sont-ils vraiment propriétaires de leurs achats ? Ou simplement locataires temporaires ?

L’industrie vidéoludique pourrait être forcée de mieux encadrer et clarifier ses pratiques commerciales, en mettant l’accent sur la transparence. Des solutions comme des modes hors-ligne, la conservation des serveurs en lecture seule, ou encore des politiques de remboursement plus souples pourraient devenir des standards si les éditeurs souhaitent éviter d'autres litiges.

« Nous sommes à un tournant où la législation pourrait enfin rattraper les pratiques numériques. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement un jeu, c’est la relation entière entre le joueur et l’industrie. »

 


En quelques mots

L’affaire autour de The Crew ne se limite pas à la simple fermeture d’un jeu de course. Elle révèle une tension profonde entre les droits des consommateurs et les modèles économiques numériques adoptés par les éditeurs. En réaffirmant que les joueurs n’achètent qu’une licence, Ubisoft défend une pratique courante, mais controversée, qui soulève des questions sur la propriété, la transparence et la pérennité des jeux en ligne.

Le verdict attendu le 29 avril 2025 pourrait marquer une étape décisive dans l’encadrement juridique du jeu vidéo numérique. Quelle que soit l’issue, cette affaire pousse l’industrie à reconsidérer la manière dont elle informe, protège et respecte ses utilisateurs. Et pour les joueurs, c’est peut-être le début d’une nouvelle ère de conscience et de revendication autour de leurs droits numériques.

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