
En juillet 2025, le paysage vidéoludique a été secoué par une plainte déposée par Sony à l'encontre de Tencent. En ligne de mire: Light of Motiram, un jeu encore en développement par le géant chinois, accusé de violer les droits d’auteur de la célèbre franchise Horizon, développée par Guerrilla Games.
Le grief de Sony ? Le jeu de Tencent présenterait des similitudes trop flagrantes avec sa licence à succès, allant de son ambiance post-apocalyptique à la présence de créatures robotiques en passant par un protagoniste roux – un détail devenu emblématique avec Aloy. Un mélange jugé par Sony trop proche pour être le fruit du hasard.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Tencent a récemment pris la parole publiquement pour riposter, accusant Sony d’user de sa position dominante dans l'industrie afin de « s’arroger un monopole inadmissible » sur des conventions narratives pourtant omniprésentes. Pour Tencent, il ne s’agit pas d’une simple affaire de propriété intellectuelle, mais d’une tentative de verrouiller la créativité dans un carcan juridique.
À travers cette affaire, ce sont deux visions de la propriété intellectuelle qui s’affrontent: l’une, protectrice d’un univers construit avec soin ; l’autre, défensive face à une industrialisation du storytelling. Plongée dans une polémique juridique et créative qui pourrait bien faire jurisprudence.
Origine du litige: ce que Sony reproche à Light of Motiram
Les éléments mis en avant par Sony: similarités avec Horizon
Le cœur de la plainte déposée par Sony repose sur une accusation de violation de droits d’auteur. Le constructeur japonais estime que Light of Motiram, bien que non encore publié, s’approprie plusieurs caractéristiques distinctives de la licence Horizon. Parmi ces éléments, on retrouve:
- Un univers post-apocalyptique dominé par la nature et la technologie,
- Un protagoniste féminin aux cheveux roux, qui rappelle sans équivoque Aloy,
- Des créatures mécaniques semblables aux machines emblématiques de Horizon Zero Dawn et Forbidden West.
Sony avance que ces choix créatifs ne relèvent pas de simples coïncidences, mais plutôt d’une stratégie délibérée de copie. En s’appuyant sur des visuels promotionnels et des descriptions de gameplay apparues lors de fuites et de dépôts de marque, l'entreprise affirme que Tencent tente de s’inscrire dans la vague de succès de Horizon, sans pour autant proposer une œuvre originale.
La plainte: propriété intellectuelle, marques, confusion possible
Sur le plan juridique, la plainte déposée à la cour de Tokyo est structurée autour de trois axes:
- Violation du droit d’auteur: Sony prétend que l’esthétique, le lore, les thèmes et certains aspects du design du jeu reproduisent des éléments protégés de Horizon.
- Concurrence déloyale: L’argument avancé ici est que Light of Motiram pourrait créer une confusion dans l’esprit des joueurs, qui pourraient croire à une suite, un spin-off ou un jeu sous licence officielle de Sony.
- Atteinte à la marque: Même si le titre du jeu est différent, l’alignement des codes visuels et narratifs pourrait nuire à l’identité de la franchise Horizon, notamment en brouillant la frontière entre les deux licences.
Sony mise sur l’idée que l’originalité ne se limite pas à une simple accumulation de tropes, mais repose sur la combinaison unique d’éléments narratifs et visuels. Selon eux, Light of Motiram franchit cette ligne.
La réponse de Tencent: arguments et défense
L’accusation d’appropriation de conventions narratives générales
Tencent ne s’est pas contenté d’un simple démenti. Le groupe a contre-attaqué en dénonçant un “abus de pouvoir” de la part de Sony, accusant le constructeur japonais de vouloir monopoliser des conventions narratives largement utilisées dans l’industrie vidéoludique. À travers un communiqué cinglant, Tencent affirme que Sony cherche à s’approprier des archétypes et des codes universels, tels que:
- Le cadre post-apocalyptique,
- Les personnages féminins aux cheveux flamboyants,
- Les créatures mécaniques d’origine inconnue.
« La plainte de Sony ignore ces faits de manière révélatrice. Au lieu de cela, elle tente de transformer des ingrédients de genre omniprésents en actifs exclusifs », déclare Tencent dans un extrait officiel de sa défense. Une réplique qui pose une question essentielle: peut-on vraiment revendiquer l’exclusivité de thématiques populaires dans un médium aussi itératif que le jeu vidéo ?
Exemples cités par Tencent: jeux antérieurs utilisant des thèmes similaires
Pour renforcer son argumentaire, Tencent aligne une série de jeux ayant utilisé les mêmes codes bien avant ou après Horizon. Parmi eux:
- The Legend of Zelda: Breath of the Wild, pour son exploration en monde ouvert et son style artistique,
- Far Cry: Primal et Far Cry: New Dawn, pour leur monde sauvage et ruiné,
- Enslaved: Odyssey to the West, explicitement cité comme référence commune,
- Outer Wilds, pour sa vision contemplative d’un monde en déclin,
- Biomutant, avec ses créatures hybrides et sa narration post-cataclysmique.
Ces exemples visent à montrer que Sony n’a pas inventé ces concepts, mais les a intégrés à sa propre sauce. Et que Tencent est en droit d’en faire autant.
Défauts juridiques selon Tencent: entités mal nommées, timing, contenu non encore publié
Tencent attaque également la plainte de Sony sur le plan technique. Selon ses avocats, le dépôt serait fragile juridiquement:
- Les entités mentionnées ne correspondraient pas toujours aux filiales opérationnelles impliquées dans Light of Motiram,
- Le jeu n’est pas encore sorti, rendant les accusations prématurées,
- Aucune scène complète de gameplay n’a été diffusée publiquement, ce qui rend les fondements de la plainte discutables.
L’entreprise demande donc le rejet pur et simple de la plainte, arguant qu’elle repose sur des spéculations, non sur des faits vérifiables.
Modifications de Light of Motiram après la plainte
Changements observés sur la page Steam / matériel promotionnel
Malgré sa posture combative, Tencent n’est pas resté immobile après la plainte de Sony. Des modifications discrètes mais notables ont été apportées aux supports promotionnels de Light of Motiram, notamment sur sa page Steam et dans les éléments de communication diffusés lors de salons privés.
Parmi les ajustements observés:
- Le design du personnage principal a été légèrement modifié: sa coiffure est désormais plus courte et la teinte de ses cheveux a viré vers un brun-roux moins éclatant.
- Certaines illustrations conceptuelles mettant en avant des paysages fortement inspirés de ceux d’Horizon: Forbidden West ont été remplacées par des visuels plus génériques.
- Des descriptions évoquant une "connexion avec la nature face à la technologie oubliée" ont été reformulées pour éviter toute ressemblance thématique trop appuyée.
Ces changements montrent que Tencent tente de réduire les risques juridiques tout en maintenant son cap créatif. Ils illustrent aussi à quel point la frontière entre l’inspiration et la contrefaçon peut être mince.
Report de la date de sortie et implications
Initialement pressenti pour un lancement courant 2026, Light of Motiram a vu sa sortie repoussée à fin 2027, selon les dernières informations disponibles. Ce délai peut être interprété de plusieurs manières:
- D’une part, il permet à Tencent de redéfinir certains éléments du jeu pour éviter tout nouveau litige.
- D’autre part, il pourrait refléter une volonté stratégique de prendre de la distance avec la franchise Horizon, dont un nouvel épisode pourrait voir le jour dans le même créneau.
Ce report montre aussi à quel point les affaires juridiques peuvent ralentir le développement créatif, surtout dans une industrie où les délais sont déjà serrés et les budgets colossaux.
En attendant, le jeu demeure entouré d’un certain mystère, et sa promotion reste minimaliste. Une façon de rester en retrait médiatique, le temps que la tempête judiciaire se calme.
Enjeux juridiques et artistiques: ce que ce cas soulève pour l’industrie du jeu vidéo
Jusqu’où une idée ou un style sont-ils protégeables ?
L’affaire opposant Sony à Tencent soulève une question fondamentale pour les créateurs de jeux vidéo: où commence et où s’arrête la protection du droit d’auteur ? Il est admis en droit que les idées générales ne peuvent être protégées, seules leurs expressions concrètes le peuvent. Mais qu’en est-il des styles, des esthétiques, des configurations narratives qui s’inscrivent dans des tendances de genre ?
“Si les studios commencent à revendiquer des concepts comme le monde post-apocalyptique ou les personnages aux cheveux roux, alors c’est toute l’industrie qui risque l’asphyxie créative.”
— Un avocat spécialisé en propriété intellectuelle
La question n’est pas nouvelle, mais elle devient brûlante à mesure que les budgets gonflent et que les risques financiers incitent les géants à verrouiller leurs licences par tous les moyens.
Les précédents: cas similaires dans le passé
Ce n’est pas la première fois qu’un conflit éclate autour de conventions artistiques dans le jeu vidéo. Quelques cas célèbres incluent:
- PUBG Corp. vs Epic Games, où les créateurs de PlayerUnknown’s Battlegrounds accusaient Fortnite de copier leur système de battle royale.
- Bethesda vs Mojang, pour l’utilisation du mot “Scrolls” dans le jeu de cartes du studio suédois.
- Capcom vs Data East, un ancien procès de 1994 sur la ressemblance entre Street Fighter II et Fighter's History.
Ces affaires ont rarement abouti à des condamnations fermes, précisément parce que les tribunaux reconnaissent souvent que les genres se nourrissent de répétition et d’évolution collective, et non d’exclusivité.
Impacts potentiels pour la création, la liberté artistique et les studios
Le litige entre Tencent et Sony pourrait faire jurisprudence, notamment si le tribunal considère que des éléments aussi communs qu’un décor ou une ambiance peuvent être protégés. Cela poserait un précédent risqué pour les petits studios et créateurs indépendants, qui n’ont pas les moyens juridiques de se défendre.
Ce genre de procès peut engendrer:
- Une autocensure croissante dans le design des jeux,
- Une concentration accrue du pouvoir créatif chez les grands éditeurs,
- Une ralentissement de l’innovation, par peur de répercussions légales.
Si le tribunal donne raison à Tencent, cela pourrait au contraire ouvrir un espace de respiration créatif, rappelant que l’inspiration n’est pas un vol, mais souvent un hommage et une base pour construire autre chose.
En quelques mots
L'affaire opposant Tencent à Sony autour de Light of Motiram dépasse de loin le simple cadre d’un différend commercial. Elle cristallise une tension croissante dans l’industrie vidéoludique: celle entre protection de la propriété intellectuelle et liberté artistique. Si Sony entend défendre sa licence phare Horizon, Tencent, lui, dénonce une tentative de monopolisation des codes narratifs partagés par toute une génération de jeux.
En s'appuyant sur des références variées comme Enslaved, Zelda ou Far Cry, Tencent remet en question l’idée qu’un style puisse appartenir à une seule entreprise. Et la défense est d’autant plus audacieuse qu’elle cite même un documentaire officiel où Guerrilla Games admet s’être inspiré d’un jeu antérieur.
Le procès à venir promet donc d’être aussi symbolique que stratégique. Il pourrait redessiner les limites de la créativité vidéoludique, influençant la manière dont les studios conçoivent leurs univers, et surtout, ce qu’ils osent — ou n’osent plus — faire. Verdict à suivre de près.