
Le monde du jeu vidéo indépendant a récemment été secoué par une polémique inattendue. Clair Obscur: Expedition 33, RPG narratif du studio français Sandfall Interactive, s’est d’abord vu couronné « Meilleur premier jeu » et « Jeu de l’année » lors des Indie Game Awards 2025, avant d’être tout simplement… disqualifié. En cause : l’usage de l’intelligence artificielle générative au cours de son développement, une pratique expressément interdite par le règlement de l’événement.
Ce retournement de situation n’a pas seulement créé la surprise, il a aussi soulevé des questions brûlantes autour de l'utilisation de l’IA dans la création artistique, et plus particulièrement dans les jeux vidéo. Entre admiration, désillusion et débat éthique, retour sur une affaire qui secoue toute une industrie.
Le sacre de Clair Obscur: Expedition 33 aux Indie Game Awards 2025
Un double triomphe pour Sandfall Interactive
Le 18 décembre 2025, le studio lyonnais Sandfall Interactive vivait un moment historique. Son jeu, Clair Obscur: Expedition 33, raflait deux distinctions majeures aux Indie Game Awards : celle du Meilleur premier jeu et celle, encore plus prestigieuse, du Jeu de l’année. Ces récompenses venaient consacrer plusieurs années de travail, de passion et de vision artistique, saluées autant par la critique que par le public.
Le RPG, ancré dans un univers poétique et sombre inspiré du symbolisme français, se distinguait par sa direction artistique unique et son système de combat au tour par tour inspiré des classiques du genre, avec une touche d’action dynamique.
Une reconnaissance internationale pour un RPG français ambitieux
C’était aussi une vitrine exceptionnelle pour la scène vidéoludique française, souvent éclipsée sur la scène internationale. Clair Obscur: Expedition 33 promettait de faire rayonner le savoir-faire tricolore, tant par ses ambitions techniques que par la richesse de son univers. De nombreux médias internationaux s’étaient emparés du phénomène, le qualifiant même de candidat au GOTY toutes catégories confondues pour 2025.
Mais cette gloire n’allait durer que quelques jours. Derrière les projecteurs, une ombre bien plus controversée allait s’étendre sur le succès du studio.
Une disqualification qui fait polémique
Le règlement strict sur l'IA générative
Si les Indie Game Awards sont devenus une référence dans la reconnaissance des talents indépendants, c’est en grande partie grâce à leur charte éthique rigoureuse. Et parmi les clauses les plus surveillées figure celle sur l’utilisation de l’intelligence artificielle générative. Le règlement stipule clairement :
« Les jeux développés à l’aide d’une IA générative ne peuvent être nominés. »
Cette règle vise à préserver l’authenticité et la créativité humaine au cœur du processus de développement, valeurs fondamentales des jeux indépendants. Dans un contexte où les outils d’IA se multiplient et bousculent les méthodes de création, cette position se veut ferme et non négociable.
La déclaration officielle des Indie Game Awards
Tout semblait donc en ordre… jusqu’au jour de la cérémonie. C’est à ce moment précis que Sandfall Interactive a déclaré, publiquement, avoir utilisé des outils d’IA générative pendant la production de Clair Obscur: Expedition 33.
Quelques heures plus tard, un communiqué des organisateurs tombait :
« Compte tenu de la confirmation par Sandfall Interactive concernant l'utilisation de l'IA générative le jour de la cérémonie, Clair Obscur: Expedition 33 est disqualifié de ses nominations. »
La décision fut aussi rapide que brutale. Les trophées furent immédiatement retirés au jeu, provoquant une vague d’incompréhension, mais aussi de soutien et d’interrogations dans la communauté.
Une révélation tardive de Sandfall Interactive
Mais pourquoi avoir attendu le dernier moment pour faire cette annonce ? C’est l’une des nombreuses questions qui restent en suspens. Lors de la soumission du jeu, les représentants du studio avaient pourtant formellement nié toute utilisation de l’IA. Ce revirement soudain, juste avant d’être auréolés de gloire, a nourri la suspicion. Était-ce une négligence ? Une tentative d’évitement ? Une maladresse de communication ?
Quelle que soit la réponse, cette révélation a brisé l’élan de reconnaissance du jeu, tout en déclenchant une tempête médiatique autour des pratiques de développement dans l’industrie indépendante.
L’impact sur la compétition et les nouveaux lauréats
Sorry We're Closed et Blue Prince : les nouveaux primés
La disqualification de Clair Obscur: Expedition 33 a instantanément redistribué les cartes. Le jeu d’horreur psychologique Sorry We're Closed, acclamé pour sa narration immersive et son esthétique rétro inspirée de l’ère PS1, a hérité du prix du Meilleur premier jeu. Une aubaine inattendue pour son créateur solo, qui a vu son œuvre propulsée sous les projecteurs du jour au lendemain.
Quant au titre de Jeu de l’année, il est revenu à Blue Prince, un jeu d’aventure énigmatique salué pour son level design expérimental et son ambiance onirique. Si ces jeux méritaient sans doute déjà les honneurs, leur victoire reste entachée d’un contexte polémique qu’ils n’ont pas cherché.
« Nous sommes honorés de cette reconnaissance, même si nous aurions préféré qu’elle ne soit pas due à une disqualification », a déclaré sobrement l’équipe de Blue Prince.
Des retombées médiatiques inattendues pour tous les jeux concernés
Cette situation atypique a finalement profité à l’ensemble des jeux cités. Les recherches autour de Clair Obscur: Expedition 33 ont explosé, alimentées par la controverse. De même, Sorry We're Closed et Blue Prince ont vu leur visibilité s’accroître, leurs ventes grimper, et les discussions en ligne se multiplier.
C’est une illustration parfaite de l’adage : il n’y a pas de mauvaise publicité. Toutefois, certains observateurs s’interrogent sur les conséquences de ce précédent : peut-on encore faire confiance aux déclarations des studios ? Faut-il renforcer les vérifications avant les nominations ? Des débats qui s’annoncent houleux pour les éditions futures.
L'utilisation de l'IA dans le jeu vidéo : un débat en pleine ébullition
Création assistée ou triche déguisée ?
Le cas de Clair Obscur: Expedition 33 soulève une question centrale : l’IA générative est-elle un outil comme un autre ou une entorse à la créativité ? Dans le jeu vidéo, l’intelligence artificielle peut générer des visuels, écrire des lignes de dialogue, composer de la musique, voire coder des fonctionnalités de gameplay. Autant d’aspects autrefois réalisés par des artistes, auteurs ou développeurs humains.
Certains créateurs défendent l’IA comme une extension de la boîte à outils du développeur indépendant, souvent contraint par le temps et les ressources. D’autres, au contraire, y voient une forme de tricherie, contournant l’effort artistique au cœur même de la scène indépendante.
« L’utilisation de l’IA ne remplace pas la créativité, elle la soutient », affirment certains développeurs.
« Mais à quel prix ? » répondent les puristes.
Vers une refonte des règles pour les compétitions futures ?
Avec cette affaire, les organisateurs de compétitions vidéoludiques vont devoir clarifier leur position. Les Indie Game Awards ont été catégoriques cette année, mais rien n’indique que leur position restera inchangée à mesure que les outils d’IA deviendront plus courants, voire omniprésents.
Faudra-t-il bannir uniquement l’IA générative ? Distinguer les usages créatifs des usages fonctionnels ? Imposer de la transparence totale sur les méthodes de production ? La réflexion est lancée, et elle dépasse le cadre d’un seul événement.
La place de l’IA dans les studios indépendants
Pour les petits studios comme Sandfall Interactive, l’IA représente parfois la possibilité de faire plus avec moins. Générer des textures, peaufiner des concepts artistiques, ou tester des idées de gameplay peut s’avérer bien plus rapide avec l’assistance d’une IA. Mais cette efficacité accrue remet en question la définition même du travail artisanal tant valorisé dans l’indé.
Entre progrès technologique et éthique artistique, les studios indépendants doivent désormais marcher sur une ligne de crête. Un seul faux pas, comme vient de le montrer cette affaire, peut tout faire basculer.
En quelques mots
L’affaire Clair Obscur: Expedition 33 restera sans doute dans les annales comme l’un des premiers grands scandales liés à l’usage de l’IA dans le développement de jeux vidéo. Ce qui aurait dû être une consécration pour Sandfall Interactive s’est transformé en débat houleux sur les frontières entre innovation et éthique.
Cette disqualification met en lumière une fracture grandissante : celle entre l’évolution technologique et la préservation des valeurs humaines dans la création artistique. Si les outils d’IA sont désormais omniprésents, leur usage dans le monde du jeu indépendant devra être mieux encadré, clarifié et assumé.
Loin de sonner le glas de Clair Obscur: Expedition 33, cette controverse pourrait bien amplifier son impact culturel, tout en agissant comme catalyseur d’un débat nécessaire pour l’avenir de toute l’industrie.