
La scène vidéoludique européenne vient de perdre un de ses talents les plus singuliers. Tequila Works, le studio espagnol derrière le poétique Rime et le mystérieux Gylt, est en pleine liquidation judiciaire. Une fin abrupte mais malheureusement prévisible pour ce développeur basé à Madrid, qui avait déjà amorcé une descente aux enfers depuis plusieurs mois.
Après un dépôt de bilan en novembre dernier, suivi de licenciements massifs et de l’annulation d’un projet en développement, la société procède aujourd’hui à une vente aux enchères complète de ses actifs. Et le plus étonnant, c’est peut-être le prix dérisoire auquel ces trésors créatifs sont proposés: Rime pour seulement 1 550 €, Gylt en tête des enchères à 5 100 €, et un pack de quatre jeux originaux non finalisés mis en vente pour… 270 €.
Comment un studio au catalogue aussi soigné en est-il arrivé là ? Que signifient ces ventes pour les fans et pour l'industrie ? Cet article fait le point sur le parcours du studio, les raisons de sa chute et les perspectives que pourraient offrir ces enchères inattendues.
Tequila Works: un parcours créatif de 2009 à 2024
Des débuts prometteurs avec Deadlight et Rime
Fondé en 2009 par Raúl Rubio Munárriz, un ancien de MercurySteam et de Pyro Studios, Tequila Works s’est rapidement imposé comme un studio au style marqué, combinant narration forte, esthétique léchée et gameplay accessible. Leur premier succès, Deadlight (2012), un jeu de plateforme post-apocalyptique édité par Microsoft Studios, avait déjà posé les bases: une identité visuelle forte, une ambiance mélancolique, et une passion pour les expériences de jeu immersives.
Mais c’est avec Rime (2017) que le studio va réellement marquer les esprits. Souvent comparé à Journey ou ICO, Rime est un jeu d’aventure contemplatif où l’émotion prime sur l’action. Ce titre va asseoir la réputation de Tequila Works comme un studio européen capable de rivaliser avec les plus grands en matière de direction artistique.
Une expansion ambitieuse avec des projets variés
Fort de ce succès, le studio ne s’est pas reposé sur ses lauriers. Il enchaîne avec des projets plus audacieux comme The Sexy Brutale (co-développé avec Cavalier Game Studios), WonderWorlds, ou encore Song of Nunu: A League of Legends Story, un spin-off narratif réalisé pour Riot Forge. En parallèle, le studio s’aventure sur de nouvelles plateformes, notamment avec Gylt, une exclusivité Google Stadia à sa sortie en 2019.
Ces choix démontrent une volonté de diversification, mais aussi une certaine prise de risque. Entre adaptations de licences, jeux narratifs originaux, expériences VR (The Invisible Hours), et contrats avec de grands éditeurs, Tequila Works cherchait à s’inscrire dans tous les segments du marché. Une ambition louable, mais qui allait se heurter à de nombreuses réalités économiques.
Les causes de la faillite: entre choix stratégiques et contexte économique
L'impact de l'exclusivité Stadia pour Gylt
Parmi les choix les plus discutables du studio figure sans doute l’exclusivité temporaire de Gylt pour la plateforme Google Stadia, aujourd’hui disparue. Ce jeu d’horreur psychologique, bien accueilli par la critique, n’a malheureusement jamais rencontré son public à cause de cette exclusivité. En misant sur une plateforme alors peu implantée et rapidement abandonnée par Google, Tequila Works s’est privé d’une large audience au moment le plus critique de son développement.
Même si Gylt a finalement été porté sur consoles et PC, le retard pris et le manque de communication autour du jeu n’ont pas permis de rattraper le coup. Ce faux départ a épuisé des ressources financières précieuses et freiné l’élan du studio.
Le retrait du soutien de Tencent et ses conséquences
Autre facteur décisif: la sortie de Tencent de l’équation. Le géant chinois, qui était devenu actionnaire majoritaire du studio en 2022, semblait vouloir soutenir une montée en puissance de Tequila Works sur la scène internationale. Mais cet appui stratégique n’a duré qu’un temps, et selon plusieurs sources, Tencent aurait progressivement désengagé son soutien, notamment financier.
Sans cette sécurité, et dans un contexte post-COVID difficile pour les studios de taille moyenne, Tequila Works s’est retrouvé seul face à ses dettes, avec peu d’options de redressement. Le dépôt de bilan en novembre dernier a donc été la suite logique d’un enchaînement d’échecs stratégiques et de malchances industrielles.
"Tequila Works n’a jamais manqué d’idées, mais peut-être a-t-il manqué de stabilité."
Les causes de la faillite: entre choix stratégiques et contexte économique
L'impact de l'exclusivité Stadia pour Gylt
Parmi les choix les plus discutables du studio figure sans doute l’exclusivité temporaire de Gylt pour la plateforme Google Stadia, aujourd’hui disparue. Ce jeu d’horreur psychologique, bien accueilli par la critique, n’a malheureusement jamais rencontré son public à cause de cette exclusivité. En misant sur une plateforme alors peu implantée et rapidement abandonnée par Google, Tequila Works s’est privé d’une large audience au moment le plus critique de son développement.
Même si Gylt a finalement été porté sur consoles et PC, le retard pris et le manque de communication autour du jeu n’ont pas permis de rattraper le coup. Ce faux départ a épuisé des ressources financières précieuses et freiné l’élan du studio.
Le retrait du soutien de Tencent et ses conséquences
Autre facteur décisif: la sortie de Tencent de l’équation. Le géant chinois, qui était devenu actionnaire majoritaire du studio en 2022, semblait vouloir soutenir une montée en puissance de Tequila Works sur la scène internationale. Mais cet appui stratégique n’a duré qu’un temps, et selon plusieurs sources, Tencent aurait progressivement désengagé son soutien, notamment financier.
Sans cette sécurité, et dans un contexte post-COVID difficile pour les studios de taille moyenne, Tequila Works s’est retrouvé seul face à ses dettes, avec peu d’options de redressement. Le dépôt de bilan en novembre dernier a donc été la suite logique d’un enchaînement d’échecs stratégiques et de malchances industrielles.
"Tequila Works n’a jamais manqué d’idées, mais peut-être a-t-il manqué de stabilité."
Les perspectives pour les actifs de Tequila Works
Des opportunités pour les studios indépendants
Si la disparition de Tequila Works marque une fin douloureuse, elle ouvre aussi la voie à des opportunités uniques pour d'autres acteurs du secteur. Les faibles montants des enchères rendent ces actifs accessibles à des studios indépendants, petits éditeurs ou jeunes talents qui, autrement, n’auraient jamais pu acquérir des licences établies ou des projets avancés.
Un studio indé pourrait ainsi reprendre Rime, lui offrir une suite ou un remaster, ou bien intégrer les jeux inachevés de Tequila Works dans un portefeuille créatif plus large. Cela pourrait donner une nouvelle vie à des projets autrement condamnés à l’oubli. Même le nom « Tequila Works », malgré sa valeur symbolique écornée, pourrait intéresser une entreprise souhaitant bénéficier d’une certaine reconnaissance de marque.
Cette recomposition discrète de l’écosystème créatif est souvent ce qui permet la survie d’idées brillantes malgré l’effondrement de leurs structures d’origine.
L’avenir incertain des projets en cours
Cependant, tout n’est pas rose. Si certains assets trouvent preneur, rien ne garantit qu’ils seront exploités avec soin. Il existe un risque réel que certains projets ou licences tombent entre les mains de spéculateurs, ou pire, soient acquis pour ne jamais voir le jour.
De plus, sans la vision artistique originelle de l’équipe fondatrice, certains jeux risquent de perdre leur âme. L’enjeu, pour les futurs acquéreurs, sera de préserver l’intention artistique tout en assurant la viabilité commerciale.
Enfin, la liquidation n’inclut pas automatiquement les membres de l’équipe. Le savoir-faire, la passion, les idées derrière chaque titre… tout cela pourrait se disperser, à moins qu’une partie de l’équipe ne se reforme autour de nouveaux projets ou rejoigne d’autres studios.
"Une licence peut être achetée. Une âme, beaucoup moins."
En quelques mots
La disparition de Tequila Works sonne comme un avertissement pour toute l’industrie vidéoludique: même les studios les plus créatifs, salués pour leur originalité et leur direction artistique, ne sont pas à l’abri des turbulences économiques et des erreurs stratégiques.
Entre l’échec de l’exclusivité Stadia, le retrait d’un investisseur majeur comme Tencent et la complexité du marché post-pandémie, le studio madrilène s’est retrouvé acculé. Aujourd’hui, ses actifs mis aux enchères sont une occasion pour certains, mais aussi un symbole amer de ce que peut devenir une œuvre collective lorsqu’elle est réduite à des chiffres dans un tableur.
Reste à espérer que cette liquidation atypique permettra à des talents émergents de s’approprier ces univers et de leur offrir une seconde vie. Peut-être reverrons-nous un jour Rime 2, ou un des projets inachevés renaître sous un nouveau nom, dans un nouvel écrin.
Car si les studios meurent, les idées, elles, peuvent survivre. Et parfois, renaître là où on ne les attendait plus.