
Le monde du jeu vidéo est de nouveau secoué par une affaire judiciaire majeure. Cette fois, ce sont trois anciens cadres d’Ubisoft, l’un des géants français de l’industrie, qui se retrouvent au cœur de la tempête. Le tribunal judiciaire de Bobigny a récemment rendu son verdict dans une affaire qui remonte à la période 2015-2020, où des accusations graves de harcèlement moral et sexuel avaient émergé contre plusieurs hauts responsables de l’entreprise.
Tommy François, Serge Hascoët et Guillaume Patrux – trois figures emblématiques de la maison Ubisoft à l’époque – ont été reconnus coupables d’actes répétés de harcèlement, d’insultes, de remarques sexistes, ainsi que de pratiques de bizutage profondément dégradantes. Leurs agissements visaient particulièrement des jeunes salariés, souvent nouvellement embauchés, plongés dans un environnement de travail toxique et autoritaire.
Le verdict marque une étape significative dans la reconnaissance des souffrances endurées par les victimes et dans la volonté de la justice française de poser un cadre clair: le harcèlement au travail n’est plus toléré, même dans les sphères créatives les plus influentes. Si Ubisoft tente aujourd’hui de tourner la page, cette affaire laisse une trace indélébile dans son histoire, et soulève des questions profondes sur les cultures d’entreprise dans le secteur du jeu vidéo.
Contexte de l’affaire
Origine des plaintes
Tout a commencé en 2020, en pleine vague de libération de la parole au sein de l'industrie vidéoludique. Des dizaines de témoignages anonymes, relayés sur les réseaux sociaux et dans des enquêtes journalistiques, pointent alors un malaise profond au sein d'Ubisoft. Des salariés, anciens et actuels, dénoncent un climat de travail délétère, où harcèlement moral, sexisme et pratiques humiliantes sont monnaie courante.
L'entreprise, jusque-là auréolée de son image de leader créatif, se retrouve plongée dans une crise de réputation sans précédent. Plusieurs voix s'élèvent, brisant l'omerta qui pesait depuis longtemps sur les abus internes. Les témoignages décrivent un système hiérarchique où les supérieurs abusaient de leur autorité, instaurant une atmosphère de peur, d’humiliation et de non-respect. Des bizutages rabaissants, des remarques déplacées, parfois à caractère sexuel, et une gestion du personnel qualifiée de "toxique" deviennent les éléments centraux de l’enquête.
Ces faits, relayés et recoupés par les services d’enquête judiciaire, donneront lieu à plusieurs dépôts de plaintes qui mèneront, quatre ans plus tard, aux condamnations des anciens cadres.
Les personnes mises en cause
Trois figures de premier plan sont au cœur du scandale:
- Tommy François, alors vice-président chargé de l'éditorial et du développement créatif, connu pour sa forte personnalité et son influence dans les choix créatifs de l’entreprise.
- Serge Hascoët, numéro deux d’Ubisoft à l’époque, réputé tout-puissant dans la hiérarchie, et dont la culture d’entreprise aurait permis ces dérives.
- Guillaume Patrux, un manager intermédiaire, également dénoncé pour ses pratiques oppressantes.
Ces hommes incarnaient une partie du leadership d’Ubisoft, façonnant non seulement les productions de l’entreprise, mais aussi ses dynamiques internes. Leur mise en cause a été un choc pour beaucoup, tant leur ascension avait été spectaculaire.
« Un management destructeur ne peut pas coexister avec la créativité », déclarait un ancien employé, lors d’un témoignage anonyme.
Ce scandale a non seulement provoqué une onde de choc en interne, mais a aussi obligé Ubisoft à se remettre en question publiquement, engageant une série de réformes RH après le départ des accusés.
Le verdict du tribunal judiciaire de Bobigny
Peines prononcées
Le 1er juillet 2025, le tribunal judiciaire de Bobigny a rendu son verdict dans l’une des affaires les plus marquantes du secteur du jeu vidéo français. Les trois anciens cadres d’Ubisoft ont été reconnus coupables de harcèlement moral, d’insultes à répétition et d’humiliations ciblées envers des employés plus jeunes. Des propos sexistes et des pratiques de bizutage dégradantes ont également été retenus à leur encontre.
Le plus sévèrement condamné est Tommy François, ancien vice-président éditorial, reconnu pour son rôle moteur dans l’ambiance toxique dénoncée par plusieurs salariés. Il a été condamné à trois ans de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende. Une peine lourde qui reflète la gravité des faits et la position d’autorité qu’il occupait.
Serge Hascoët, ex-directeur créatif et numéro deux du groupe, a écopé de 18 mois de prison avec sursis assortis d’une amende de 45 000 euros. Bien qu’il n’ait pas été jugé pour des gestes directs, son laxisme et sa tolérance vis-à-vis de ces comportements ont été jugés comme une forme de complicité silencieuse.
Enfin, Guillaume Patrux a reçu une peine de 12 mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende, pour des faits de management abusif répétés et un comportement jugé humiliant envers des collaborateurs.
Ces peines symbolisent un tournant judiciaire important: la reconnaissance officielle de comportements toxiques en entreprise comme délictueux et punissables, y compris dans des secteurs où la créativité est souvent mise en avant comme excuse.
Arguments de la défense
Lors de l’audience, les accusés ont chacun tenté d’atténuer leur responsabilité, souvent en invoquant un manque de conscience des conséquences de leurs actes. Le plus médiatisé de ces arguments a été celui de Tommy François, qui a déclaré à la barre:
« J’ai manqué de recul à l’époque. J’avais sincèrement l’impression d’être dans le respect des gens. »
Une phrase qui a fait réagir les avocats des parties civiles, dénonçant une tentative de minimisation. Le tribunal a, de son côté, jugé ces propos insuffisants pour caractériser une remise en question réelle.
Serge Hascoët, plus discret, n’a pas nié les faits, mais a tenté de rejeter la responsabilité sur des « problèmes de communication » internes. Quant à Guillaume Patrux, son avocat a plaidé une gestion maladroite et un stress permanent dû aux objectifs imposés, sans convaincre les juges.
Enjeux et répercussions
Conséquences professionnelles
Les condamnations judiciaires infligées à Tommy François, Serge Hascoët et Guillaume Patrux ont scellé un point final à leurs carrières dans l’industrie du jeu vidéo telle qu’ils la connaissaient. Tous trois avaient quitté Ubisoft dès 2020, dans la foulée des premières révélations, certains sous la pression publique, d’autres officiellement pour des "raisons personnelles".
Depuis, aucun d’eux n’a réintégré une entreprise majeure du secteur. Pour des figures aussi influentes, habituées à opérer dans les plus hautes sphères de la création vidéoludique, c’est un effondrement symbolique et professionnel. Ubisoft, quant à lui, a dû mener une vaste opération de restructuration interne, avec refonte de ses processus RH, mise en place de cellules d’écoute pour les salariés, et adoption de nouveaux codes de conduite.
En interne, l'image de l’entreprise a été profondément écornée, ce qui a affecté son attractivité auprès des jeunes talents et compliqué certains partenariats internationaux. Pour Ubisoft, il s’agit non seulement d’un changement de culture mais aussi d’une crise d’image qu’il faudra du temps à restaurer.
Impact sociétal
Au-delà de la sphère professionnelle, cette affaire a eu un retentissement médiatique et sociétal majeur. Elle s’inscrit dans une vague plus large de libération de la parole sur les violences en entreprise, notamment dans les industries culturelles.
Le procès des anciens cadres d’Ubisoft est un précédent en France: jamais encore des dirigeants de cette stature n’avaient été condamnés aussi fermement pour des faits de harcèlement dans le secteur vidéoludique. Cela envoie un message fort à toute l’industrie, souvent critiquée pour son laxisme et son entre-soi.
« Cette décision montre que la justice peut s’appliquer aussi dans les milieux créatifs, sans compromis », déclarait une représentante d’une association de défense des droits des salariés du numérique.
L’affaire pourrait même servir de modèle pour d’autres structures confrontées à des dynamiques internes similaires, en incitant à une meilleure prévention, des formations obligatoires et une écoute renforcée des signalements.
En quelques mots
L’affaire judiciaire visant trois anciens cadres d’Ubisoft, désormais condamnés pour harcèlement moral et comportements toxiques, marque un tournant dans l’industrie du jeu vidéo. Ces peines, prononcées par le tribunal de Bobigny, sont lourdes de sens: elles reconnaissent la souffrance des victimes et rappellent que la créativité ne saurait excuser les abus de pouvoir.
Ubisoft, bien que fragilisé par ce scandale, semble engagé dans une transformation structurelle pour éviter la répétition de telles dérives. Reste à voir si ce sursaut sera durable et s’il inspirera d’autres entreprises à faire le ménage dans leurs pratiques managériales.
Plus largement, ce procès s’inscrit dans une dynamique sociétale où le harcèlement en entreprise est enfin traité avec la gravité qu’il mérite. Pour les victimes, c’est une victoire symbolique. Pour l’industrie, un électrochoc nécessaire. Et pour les futures générations de créateurs, l’espoir d’évoluer dans un environnement plus respectueux et sain.