Sony contre-attaque Tencent dans l'affaire Light of Motiram: une guerre juridique

AuthorArticle written by Vivien Reumont
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Publication date17/10/2025

Le ton est monté entre deux géants de l’industrie vidéoludique. Sony Interactive Entertainment (SIE) et Tencent, deux titans respectivement japonais et chinois, sont aujourd’hui au cœur d’une affaire judiciaire tendue autour de la propriété intellectuelle. En ligne de mire: Light of Motiram, un jeu développé par Aurora Studios, filiale de Tencent, qui aurait largement puisé son inspiration dans la saga Horizon, créée par Guerrilla Games sous la bannière de Sony.

Si les différends autour des droits d’auteur sont fréquents dans le secteur, celui-ci se distingue par sa dimension internationale, son enjeu symbolique fort et les multiples ramifications qu’il pourrait engendrer. Il ne s'agit pas d'une simple querelle de clones, mais bien d'un affrontement aux conséquences juridiques et industrielles majeures, où se croisent protection des œuvres, monopoles présumés et stratégie de dilution des responsabilités.

Entre accusations de contrefaçon, défense des concepts communs à l'industrie, et contorsions juridiques via un maillage complexe de filiales, l'affaire Light of Motiram pourrait bien devenir un cas d’école sur les frontières de la créativité dans le jeu vidéo.

 

Origine du conflit: les accusations de Sony

En juillet dernier, Sony Interactive Entertainment a pris une décision rare mais retentissante: poursuivre Tencent en justice pour violation de droits d’auteur et de marque déposée. Selon SIE, Light of Motiram présente des similitudes frappantes avec la franchise Horizon, au point de franchir la ligne entre inspiration et plagiat.

Les similitudes revendiquées avec Horizon

Dans sa plainte, Sony affirme que Light of Motiram réutilise de nombreux éléments visuels, narratifs et conceptuels caractéristiques de Horizon. Parmi les accusations, on retrouve:

  • Une héroïne au profil similaire à Aloy, avec des éléments de design, d’attitude et de parcours initiatique quasi identiques.
  • Des environnements post-apocalyptiques dominés par la nature et peuplés de créatures mécaniques animales, une signature forte de la franchise Horizon.
  • Des mécaniques de gameplay jugées « trop proches », mêlant infiltration, exploration libre en monde ouvert et utilisation de gadgets similaires.

« Il ne s’agit pas ici de similarités superficielles, mais d’une exploitation délibérée de l’identité visuelle et narrative d’Horizon », déclare la plainte.

Sony a également souligné que la communication autour de Light of Motiram – bandes-annonces, affiches promotionnelles, captures d’écran – exploitait une iconographie qui prêterait à confusion auprès du public.

Le rejet de la proposition de collaboration et l’« effet d’annonce »

Selon certaines sources proches du dossier, Sony aurait initialement tenté un règlement à l’amiable. Des échanges informels auraient eu lieu entre les deux entreprises, visant à établir un partenariat ou un accord de licence. Mais Tencent aurait refusé toute forme de concession, préférant procéder à quelques modifications cosmétiques sur Light of Motiram avant de contre-attaquer.

Ce refus, combiné au maintien du jeu dans les circuits promotionnels, aurait précipité l’attaque judiciaire de Sony. La firme japonaise y voit une stratégie d’appropriation opportuniste visant à surfer sur le succès de sa franchise tout en profitant de la passivité apparente du marché.

 

La riposte de Tencent: argumentaire et stratégies défensives

Face à la salve juridique de Sony, Tencent ne s’est pas contenté de plier l’échine. Le géant chinois a répondu en adoptant une stratégie de communication offensive, accusant à son tour Sony d’abus de position dominante et contestant les fondements mêmes de la plainte.

« Monopole des conventions » et défense des tropes communs

Tencent affirme que les similitudes entre les deux jeux relèvent davantage de conventions partagées dans le média que d’un pillage créatif. En d’autres termes, l’éditeur soutient que l’univers post-apocalyptique, les robots animaux ou encore le profil d’une héroïne indépendante sont devenus des tropes, c’est-à-dire des éléments narratifs récurrents.

« Sony tente de s’approprier des idées générales qui circulent dans le jeu vidéo depuis des années. Aucun studio ne peut s’arroger le monopole de thèmes aussi universels. »

Cet argument s’appuie sur la notion juridique de « scènes à faire », désignant les éléments logiques ou attendus d’un genre donné, que le droit d’auteur ne peut pleinement protéger.

En filigrane, Tencent insinue que la démarche de Sony pourrait freiner la créativité de l’industrie en instaurant un précédent risqué.

La manœuvre des filiales et le jeu de passe‑passe juridique

Mais le nerf de la contre-offensive repose surtout sur la structure tentaculaire du groupe Tencent, qui cherche à diluer la responsabilité entre ses filiales. Sony accuse le conglomérat d’avoir volontairement orchestré un jeu d'entités juridiques pour brouiller les pistes:

  • Tencent prétend que Tencent Holdings, la maison mère, n’est pas directement impliquée dans le développement de Light of Motiram.
  • Pourtant, Aurora Studios, le développeur du jeu, est bien mentionné dans les rapports financiers du groupe comme étant « la division gaming de Tencent ».
  • Les revenus et les actions de communication autour du jeu sont centralisés sous le nom « Tencent », sans distinction claire entre les entités.

Sony dénonce ce comportement comme une tentative délibérée d’échapper à la juridiction: « Tencent a tenté de soustraire les défendeurs qu'elle possède et/ou contrôle à la signification d'un acte de procédure », déclare SIE dans sa requête.

Cette manœuvre juridique agressive de part et d’autre révèle les tensions croissantes autour de la propriété intellectuelle dans un secteur de plus en plus globalisé.

 

Les signes de retrait: ajustements du marketing et report de sortie

Bien que Tencent ait publiquement défendu Light of Motiram, certains signaux indiquent une forme de repli stratégique de la part du groupe chinois. Entre ajustements discrets et décisions surprenantes, l’éditeur semble tenter d’éteindre l’incendie tout en maintenant son jeu dans la lumière.

Modifications de la page Steam / suppression des éléments incriminés

À la suite du dépôt de plainte par Sony, la page Steam de Light of Motiram a subi plusieurs modifications, souvent sans communication officielle. Plusieurs éléments jugés trop proches de la licence Horizon ont été discrètement retirés ou modifiés:

  • Changement dans le design de l’héroïne principale, avec un style vestimentaire moins tribal.
  • Retrait de visuels montrant des environnements trop similaires à ceux de Horizon: Forbidden West.
  • Réécriture partielle du synopsis pour en ôter certaines références à des motifs narratifs équivalents.

Ces ajustements sont perçus par les analystes comme une tentative d’apaisement, voire de brouillage des preuves. Cependant, pour Sony, le mal est déjà fait. Dans sa plainte, l’entreprise affirme que la promotion initiale du jeu a durablement induit le public en erreur, même si le contenu a été revu par la suite.

« Tencent a continué à promouvoir son jeu trompeur malgré l’objection de SIE, et a refusé d’admettre la moindre responsabilité pour son comportement. »

Le report au quatrième trimestre 2027: quelles implications ?

Autre événement marquant: le report soudain de la sortie de Light of Motiram à 2027. Ce changement de calendrier, annoncé quelques semaines après l’ouverture du litige, a suscité l’étonnement.

Tencent avance une justification logistique: un besoin de retravailler le jeu pour atteindre ses standards de qualité. Mais pour Sony, il s’agit d’une manœuvre de diversion, destinée à faire croire que le projet était encore en développement et à limiter les risques juridiques immédiats.

« Le mal est fait, et il continue », martèle Sony, soulignant que les campagnes marketing ont déjà largement diffusé une image problématique du jeu.

Ce report interroge aussi sur les enjeux économiques du projet, la durée de développement supplémentaire augmentant les coûts et incitant à revoir la stratégie de sortie. Certains observateurs y voient une façon pour Tencent de gagner du temps dans l’attente d’un règlement judiciaire ou d’une évolution réglementaire favorable.

 

La difficulté de protéger des idées : droit d’auteur vs « scènes à faire »

En droit, les idées ne sont pas protégeables, seules leur expression l’est. Cela signifie qu’un studio ne peut pas revendiquer la propriété d’un genre, d’un archétype ou d’une ambiance. Or, dans un média où de nombreux codes sont partagés — post-apo, mechas, héroïne rebelle, monde ouvert —, la frontière entre inspiration et imitation devient floue.

Le concept de « scènes à faire », hérité du droit américain, désigne les éléments indispensables ou typiques d’un genre donné. Par exemple, une base militaire dans un FPS, ou une cinématique de type tutoriel dans un RPG, sont difficiles à revendiquer juridiquement. Tencent s'appuie clairement sur cette notion pour sa défense.

Mais Sony tente ici de faire valoir une combinaison unique d’éléments – l’univers, l’esthétique, les mécaniques – comme une empreinte artistique distincte. Si cette approche l’emporte, cela pourrait renforcer la protection des jeux vidéo comme œuvres complexes, mais aussi freiner certains usages créatifs considérés comme dérivés ou hommages.

4.2. Risques de précédent et impact sur la créativité dans le jeu vidéo

L’issue de cette affaire pourrait établir un précédent juridique de taille. Une victoire de Sony renforcerait la capacité des éditeurs à poursuivre pour des emprunts même partiels, ce qui pourrait avoir des effets positifs pour la protection des studios... mais aussi des conséquences négatives pour les indépendants et la scène émergente.

À l’inverse, si Tencent obtient gain de cause, cela affirmerait la faiblesse actuelle du droit d’auteur dans le jeu vidéo, laissant potentiellement la porte ouverte à des produits très fortement inspirés, sans conséquences légales.

« Ce procès n’est pas qu’un combat entre deux géants. C’est un révélateur des tensions entre innovation, protection et appropriation dans un secteur en mutation permanente. »

Dans tous les cas, cette affaire va attirer l’attention des régulateurs, des créateurs et des avocats spécialisés, qui scruteront chaque détail de la procédure et de la décision finale. L’enjeu dépasse largement les frontières de Sony et Tencent.

 


En quelques mots

L'affaire Light of Motiram illustre à quel point la propriété intellectuelle dans le jeu vidéo est devenue un champ de bataille complexe et stratégique. Si Sony dénonce une contrefaçon manifeste de sa franchise Horizon, Tencent réplique avec une défense fondée sur la banalisation des codes du genre et une structuration juridique en mille-feuilles.

Ce procès ne se résume pas à une querelle de droits d’auteur, mais soulève des questions de fond: Qu’est-ce qu’une œuvre originale dans un média construit sur l’itération ? Jusqu’où peut-on aller sans franchir la ligne ?

En accusant Tencent de « jeu de passe-passe » avec ses filiales et en s'opposant fermement au report stratégique de Light of Motiram, Sony cherche non seulement à protéger son territoire créatif, mais aussi à envoyer un message clair à l’ensemble de l’industrie: l’exploitation non-autorisée d’un univers fort ne passera plus inaperçue.

Alors que le procès suit son cours, les développeurs, éditeurs et juristes observent avec attention. Car de son issue dépend peut-être la manière dont les studios oseront (ou non) créer, s’inspirer et innover dans les prochaines années.

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