People Can Fly, studio polonais à l'origine de titres reconnus comme Outriders, Bulletstorm ou encore Gears of War: Judgment, traverse actuellement une zone de fortes turbulences. Après une année 2023 déjà marquée par des vagues de licenciements successives, le studio vient d'annoncer de nouvelles suppressions de postes en 2025. Ces décisions douloureuses s'accompagnent de l'annulation de deux projets majeurs en développement : Project Gemini, en collaboration avec Square Enix, et Project Bifrost, un ambitieux projet en réalité virtuelle. Ce nouveau coup d’arrêt illustre les difficultés croissantes que rencontrent de nombreux studios indépendants dans un marché vidéoludique de plus en plus compétitif et instable.
People Can Fly : une spirale de licenciements depuis fin 2023
Les premières vagues de licenciements en décembre et janvier
La fin de l’année 2023 a été particulièrement difficile pour People Can Fly. En décembre, le studio polonais annonçait le licenciement de 120 employés, une première vague qui témoignait déjà de tensions financières importantes. Quelques semaines plus tard, en janvier 2024, une nouvelle série de licenciements touchait une trentaine de salariés supplémentaires. Ces mesures drastiques marquaient alors un tournant inquiétant pour le studio, qui connaissait jusque-là une croissance continue grâce au succès critique de certains de ses jeux et à plusieurs partenariats solides, notamment avec Square Enix.
Malgré des projets en cours et des ambitions affichées pour l’avenir, ces premières coupes dans les effectifs laissaient entrevoir une situation interne complexe, où les projets peinaient probablement à trouver leur rentabilité ou à sécuriser les financements nécessaires à leur poursuite.
Une nouvelle réduction d'effectifs confirmée en 2025
Malheureusement, le couperet continue de tomber en 2025. Avec l'annulation récente de deux de ses projets majeurs — Project Gemini et Project Bifrost — le studio a confirmé qu’il serait contraint de remercier à nouveau une partie de ses équipes dans les jours à venir. Cette annonce s'inscrit dans une dynamique devenue tristement courante dans l'industrie vidéoludique ces dernières années : face à des coûts de production toujours plus élevés et à des revenus souvent imprévisibles, même les studios ayant connu le succès doivent procéder à des réductions de personnel importantes pour assurer leur survie.
Dans un communiqué, la direction de People Can Fly n’a pas caché sa peine face à cette décision :
« En conséquence, nous devons recentrer nos efforts de manière significative en tant que studio et réduire la taille de nos équipes, ce qui est le plus douloureux. »
L'annulation de Project Gemini : une collaboration avortée avec Square Enix
Les raisons contractuelles derrière l'arrêt de Gemini
Project Gemini représentait un partenariat ambitieux entre People Can Fly et l’éditeur japonais Square Enix, déjà partenaire du studio sur Outriders. Pourtant, malgré des débuts prometteurs, le projet n’a jamais été officiellement dévoilé au public et vient d’être purement et simplement annulé.
Selon les déclarations officielles du studio, l’annulation de Project Gemini découle de complications contractuelles. Square Enix n’aurait pas proposé de projet d’avenant couvrant les étapes ultérieures du développement, laissant le contrat en suspens :
« L'annulation de Project Gemini est la conséquence du fait que l'éditeur ne nous a pas présenté de projet d'avenant au contrat d'édition couvrant les termes et conditions des étapes ultérieures de Project Gemini et de l'absence de communication de la part de l'éditeur quant à sa volonté de poursuivre ou de mettre fin au projet. »
Face à ce vide contractuel et à l'absence de perspectives claires, People Can Fly s’est vu contraint de stopper le développement, faute de garanties financières et de direction éditoriale.
Un coup dur pour la stratégie de partenariat du studio
Cette rupture avec Square Enix représente un véritable revers stratégique pour People Can Fly. Ces dernières années, le studio avait misé sur des partenariats avec de grands éditeurs pour financer et distribuer ses productions, une stratégie classique pour les studios indépendants cherchant à limiter les risques financiers des projets AAA. Avec la fin de Project Gemini, le studio voit s'envoler non seulement plusieurs années de travail mais également la sécurité qu’offrait un partenaire financier solide.
Ce type de désengagement de la part d'un éditeur n’est pas rare dans une industrie où les priorités peuvent évoluer rapidement. Toutefois, pour un studio indépendant, les conséquences peuvent être bien plus lourdes qu’elles ne le seraient pour un géant aux multiples licences actives.
Traduction française du communiqué :
MISE À JOUR IMPORTANTE
Aujourd'hui, nous avons pris la décision très difficile de suspendre le développement du projet Gemini et du projet Bifrost — les rapports actuels pertinents ont été publiés sur le marché.
La suspension du projet Gemini découle du fait que l'éditeur ne nous a pas présenté de projet de contrat complémentaire au contrat d'édition initial, précisant les termes et conditions des étapes suivantes du projet Gemini, et de l'absence de communication de sa part concernant sa volonté de poursuivre ou d’arrêter le projet.
Le projet Bifrost a été suspendu pour les raisons ci-dessus et suite à l’analyse des flux de trésorerie du groupe, qui a révélé un manque de perspectives pour obtenir les ressources organisationnelles et les fonds nécessaires à la poursuite de la production et de la sortie de ce projet.
En conséquence, nous devons procéder à une importante réorganisation de notre studio et réduire la taille de nos équipes, ce qui est la décision la plus douloureuse.
Nous souhaitons exprimer nos plus profonds regrets et notre tristesse face à ces événements, ainsi que notre sincère gratitude pour la contribution de chacun jusqu'à présent.
Sebastian Wojciechowski
CEO
Project Bifrost : l’abandon du marché VR
Une réalité virtuelle trop coûteuse pour People Can Fly
Le second projet annulé, Project Bifrost, marquait l'incursion de People Can Fly dans le domaine de la réalité virtuelle (VR). Toutefois, malgré l’intérêt grandissant pour cette technologie, le studio a finalement décidé de jeter l’éponge. Cette annulation est directement liée à des considérations financières et organisationnelles.
Dans son communiqué, le studio explique :
« Project Bifrost a été arrêté en raison de l'analyse du flux de trésorerie du groupe, qui a montré l'absence de perspectives de sécurisation des ressources organisationnelles et des fonds nécessaires pour poursuivre la production et la commercialisation de ce projet. »
En clair, les ressources humaines et financières requises pour mener à bien un projet VR à la hauteur des attentes du marché dépassaient largement les capacités actuelles du studio. La VR reste encore aujourd'hui un secteur à fort investissement et à retour incertain, surtout pour des studios qui n'ont pas les moyens colossaux des leaders du marché comme Meta, Sony ou Valve.
Les nouvelles priorités stratégiques de l'entreprise
L’annulation de Project Bifrost n’est pas qu’une simple décision financière ponctuelle : elle s'inscrit dans une nouvelle orientation stratégique pour People Can Fly. Le studio semble vouloir désormais se recentrer sur des projets plus traditionnels, sans prendre le risque d’explorer des marchés émergents encore instables comme la VR.
Cette décision pourrait à court terme permettre au studio de consolider ses forces et de limiter les prises de risque. Mais à long terme, ce retrait du marché de la réalité virtuelle pourrait également signifier que People Can Fly renonce, pour l’instant, à se positionner sur l’un des segments les plus innovants du jeu vidéo moderne.
Une période de turbulences pour un studio autrefois en pleine ascension
De Bulletstorm à Outriders : un parcours semé de défis
People Can Fly n’est pas un nouveau venu dans l’industrie vidéoludique. Fondé en 2002 en Pologne, le studio s’est rapidement fait un nom grâce à Painkiller avant de collaborer avec Epic Games sur Gears of War: Judgment. Son titre le plus marquant reste sans doute Bulletstorm, un FPS déjanté salué pour son gameplay nerveux et sa direction artistique audacieuse.
En 2021, le studio a franchi une nouvelle étape en lançant Outriders, édité par Square Enix. Le jeu a connu un certain succès commercial à son lancement, notamment grâce à sa disponibilité immédiate sur le Xbox Game Pass. Toutefois, malgré une base de joueurs initialement solide, Outriders n’a pas réussi à s’imposer durablement sur un marché saturé de looter-shooters et de jeux-service. Les ventes, bien que correctes, n’ont pas atteint les niveaux espérés pour garantir une stabilité financière à long terme.
La pression financière des projets AAA indépendants
Le cas de People Can Fly illustre parfaitement les défis des studios indépendants développant des jeux AAA. Produire un titre à gros budget sans être adossé à un géant de l’industrie demande une gestion extrêmement fine des ressources et un accès constant à des financements externes. Chaque retard de production, chaque changement de stratégie éditoriale d’un partenaire peut fragiliser l'ensemble de la structure.
De plus, l’industrie du jeu vidéo traverse actuellement une phase d’incertitude, marquée par une inflation des coûts de développement, des attentes toujours plus élevées des joueurs, et une forte concurrence sur toutes les plateformes. Même des studios expérimentés comme People Can Fly doivent faire face à des réalités économiques brutales qui les obligent à redimensionner leurs ambitions et à faire des choix difficiles.
En quelques mots
L’histoire récente de People Can Fly est un nouveau témoignage des défis immenses qui pèsent aujourd’hui sur l’industrie du jeu vidéo, même pour des studios expérimentés et talentueux. Entre l’annulation de Project Gemini et de Project Bifrost, des licenciements en chaîne et une situation financière tendue, le studio polonais doit désormais repenser sa stratégie pour espérer rebondir. Dans un marché de plus en plus impitoyable, chaque choix devient crucial, et la moindre incertitude contractuelle ou difficulté financière peut vite se transformer en crise existentielle. Reste à espérer que cette période de recentrage permette à People Can Fly de retrouver une certaine stabilité et de continuer à offrir aux joueurs des expériences originales et marquantes.
