
Dans un contexte où la dématérialisation s'impose de plus en plus dans le monde du jeu vidéo, une nouvelle affaire relance le débat sur la valeur réelle des copies physiques. DOOM: The Dark Ages, dernier opus très attendu de la saga culte de Bethesda, fait parler de lui… mais pas pour les bonnes raisons. À quelques jours de sa sortie officielle, les premières copies consoles ont commencé à circuler, révélant une information surprenante — voire inquiétante — pour les amateurs de galettes bleues.
Sur les forums, les joueurs ont repéré une mention bien visible sur la boîte: une connexion internet est requise pour jouer. Une exigence déjà controversée, mais qui prend tout son sens lorsqu’on découvre que le disque de la version Xbox Series X|S ne contient que 324 Mo de données, contre seulement 85 Mo sur PlayStation 5. Une quantité dérisoire lorsqu’on sait qu’un Blu-ray double couche peut contenir jusqu’à 100 Go de données.
Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il s’intensifie. Et il pose une question cruciale: à quoi bon acheter un jeu en version physique si celui-ci est inutilisable sans un téléchargement massif ? Loin d’être un simple détail technique, cette réalité soulève des inquiétudes profondes sur la préservation du patrimoine vidéoludique.
Un disque presque vide: les chiffres qui choquent
Détails des données sur disque
Lorsque des copies physiques de DOOM: The Dark Ages ont été repérées dans la nature, certains utilisateurs curieux ont inséré leur disque dans leur console pour voir ce qu’il contenait. Le constat est édifiant: seulement 324 Mo sur Xbox Series X|S, et pire encore, 85,01 Mo sur PS5. Pour un jeu aussi ambitieux visuellement et techniquement, cela revient à avoir une coquille vide entre les mains.
Ce faible poids ne suffit évidemment pas à faire fonctionner le jeu. La totalité ou presque du contenu doit être téléchargée en ligne après l’installation initiale. Cela explique la mention obligatoire d’une connexion internet sur la jaquette du jeu.
Capacité des Blu-ray
Un disque Blu-ray pour consoles actuelles peut théoriquement stocker jusqu’à 100 Go de données, ce qui laisse perplexe quant au choix des développeurs ou de l’éditeur d’y placer si peu de contenu. L'espace disponible est donc loin d’être exploité, et cela remet en cause le rôle même de ces disques.
« Utiliser moins de 1 % de la capacité du disque revient à vendre une boîte vide avec un code de téléchargement dissimulé », ironisait un utilisateur sur Reddit.
Conséquences immédiates
La conséquence la plus directe est claire: impossible de jouer sans connexion internet, même si l’on possède le disque. En cas de panne de réseau, de limitation de débit ou simplement d'une impossibilité de se connecter, le jeu devient inutilisable. Cela pose aussi la question du long terme: que se passera-t-il lorsque les serveurs ne seront plus disponibles dans quelques années ?
En achetant une version physique, les joueurs s’attendent à posséder une partie tangible et autonome du jeu. Ce modèle en pleine mutation s’en éloigne dangereusement, et ce, au détriment de la confiance des consommateurs.
Les implications pour la préservation des jeux vidéo
Problèmes de conservation
L’un des enjeux les plus critiques soulevés par ce type de pratique est celui de la préservation du patrimoine vidéoludique. Lorsqu’un disque ne contient presque aucun contenu exécutable et que le jeu repose presque entièrement sur des serveurs distants, cela rend sa conservation extrêmement difficile. Les musées du jeu vidéo, les collectionneurs ou même les passionnés qui souhaitent rejouer à leurs titres favoris dans 10 ou 20 ans risquent de se heurter à une impossibilité pure et simple.
Contrairement aux anciennes générations de consoles où les jeux fonctionnaient entièrement en local depuis la cartouche ou le CD, les titres récents comme DOOM: The Dark Ages n’existeront bientôt plus que par leur empreinte numérique volatile.
Risques futurs
Un jour, ces serveurs seront éteints. C’est une réalité industrielle: les éditeurs ne maintiennent pas indéfiniment les infrastructures nécessaires pour des jeux plus anciens, surtout si ceux-ci n'ont plus de rentabilité économique. Quand cela arrivera, les copies physiques actuelles deviendront des objets inutilisables, réduits à de simples souvenirs esthétiques.
On touche là une limite dramatique du modèle numérique: même en achetant un jeu en version boîte, on n’en est pas vraiment propriétaire. Sans accès à la portion numérique essentielle, le disque ne peut remplir sa fonction.
Comparaison avec les anciennes générations
Il suffit de jeter un œil dans le rétroviseur. Sur PS2, GameCube ou Xbox 360, insérer un disque suffisait à lancer une partie. Aucun patch n’était nécessaire pour profiter de l’expérience complète. Aujourd’hui, même les disques sont dépendants de l’écosystème en ligne, et cette transformation progressive pourrait bien faire de nous des locataires de nos jeux, plutôt que des propriétaires.
« Ce que l’on achète aujourd’hui, ce n’est plus un jeu, c’est un accès temporaire à un service en ligne déguisé en produit », expliquait un archiviste du jeu vidéo sur Twitter.
Réactions de la communauté et des experts
Forums et réseaux sociaux: un feu de critiques
Les réactions ne se sont pas fait attendre sur les forums spécialisés comme Reddit, ResetEra ou encore NeoGAF. Les fans de DOOM, habitués à une franchise respectueuse des fondamentaux PC et console, se sont sentis trahis par cette nouvelle approche. Beaucoup évoquent une perte de confiance envers les éditions physiques.
Des utilisateurs ont exprimé leur colère: « Pourquoi acheter un disque si c’est pour qu’il serve de clé USB vide ? », tandis que d’autres appellent au boycott pur et simple des éditions non autonomes. Le sentiment général est un mélange de déception, d’indignation et d’incompréhension, surtout de la part de joueurs attachés à la collection de jeux physiques.
Avis des spécialistes
Du côté des experts de l’industrie, le verdict est tout aussi sévère. Certains analystes soulignent que ce type de pratique contribue à l’érosion progressive du modèle de distribution physique, qui est de plus en plus vu comme un simple relais marketing pour les ventes numériques. Pour eux, cette tendance s’inscrit dans une logique purement économique: réduire les coûts de production et pousser les joueurs vers le numérique.
Jason Schreier, journaliste bien connu du milieu, a évoqué sur X (anciennement Twitter) que ce genre de stratégie pourrait à long terme « déconnecter les studios de leur propre héritage », en rendant leurs créations inaccessibles avec le temps.
Cas similaires
DOOM: The Dark Ages n’est pas un cas isolé. Plusieurs autres titres AAA récents ont également fait l’objet de polémiques similaires: Call of Duty: Modern Warfare II (2022) avec un disque contenant à peine 70 Mo, ou encore Alan Wake 2, sorti exclusivement en version numérique. Ces exemples ne sont plus des exceptions, mais le signe d’un basculement profond dans l’industrie.
« La boîte ne garantit plus le jeu, elle garantit juste le droit de le télécharger… pour l’instant », note un rédacteur de Kotaku dans une analyse récente.
Vers une disparition du support physique ?
Tendances actuelles
Depuis plusieurs années, les ventes numériques ne cessent de gagner du terrain. Selon les derniers rapports de l’Entertainment Software Association (ESA), plus de 80 % des ventes de jeux se font aujourd’hui en dématérialisé, reléguant les supports physiques à un rôle secondaire, souvent purement symbolique. Les consoles elles-mêmes, comme la Xbox Series S ou la PS5 Digital Edition, sont vendues sans lecteur de disque, preuve supplémentaire que le marché pousse clairement vers un avenir sans galettes.
Avantages et inconvénients
D’un point de vue pratique, le numérique permet un accès instantané, sans se déplacer, sans attente de livraison ni manipulation de disque. Mais ces avantages ont un prix: la perte de propriété réelle. Lorsque l’on achète un jeu en ligne, on obtient une licence d’utilisation, souvent soumise à des conditions restrictives. En cas de problème de compte, de changement de politique ou de fermeture de plateforme, le jeu peut devenir inaccessible.
De plus, le support physique offrait un gage de conservation, une certaine autonomie technologique. Aujourd’hui, même les disques ne sont plus que des raccourcis vers des serveurs. Le pire des deux mondes, selon certains observateurs.
L'avenir du jeu vidéo
La disparition progressive du format physique n’est plus une hypothèse, mais une réalité en cours. Pourtant, une frange de joueurs — souvent les plus passionnés, les collectionneurs, les défenseurs du patrimoine vidéoludique — continue de se battre pour conserver un accès tangible et durable à leurs jeux.
Certains studios indépendants ou éditeurs spécialisés (Limited Run Games, Strictly Limited…) militent encore pour le tout-physique, en proposant des versions complètes et autonomes. Mais face aux géants de l’industrie, leur portée reste limitée.
« Le jeu vidéo devient un flux, pas un objet. Et tout flux est éphémère par nature », résume un chroniqueur de Digital Foundry.
En quelques mots
Le cas de DOOM: The Dark Ages met cruellement en lumière une évolution inquiétante de l’industrie du jeu vidéo: le support physique perd sa substance. Ce qui autrefois garantissait l’accès à un jeu, même hors ligne, même dans 20 ans, n’est désormais qu’un prétexte marketing. Avec des disques presque vides et une connexion internet obligatoire, les éditions physiques deviennent de simples passerelles vers des contenus en ligne éphémères.
Cette tendance soulève des problématiques lourdes: préservation du jeu vidéo, propriété des œuvres achetées, dépendance aux infrastructures numériques, et surtout, le devenir des joueurs dans un monde où l’on n’achète plus vraiment, mais où l’on loue temporairement l’accès à un contenu.
À l’heure où les studios misent sur le tout numérique, une prise de conscience semble nécessaire. Car la mémoire du jeu vidéo ne doit pas dépendre du bon vouloir des serveurs ou des politiques de distribution. Il en va de l’histoire, de l’accessibilité et de l’intégrité d’un médium qui a marqué des générations.