L’industrie vidéoludique traverse une période de turbulences sans précédent, et même les studios les plus établis ne sont pas épargnés. C’est désormais Avalanche Studios, le développeur suédois bien connu pour sa série explosive Just Cause et sa participation à Mad Max, qui se retrouve dans la tourmente. Après l’annulation discrète mais significative de Contraband, un projet ambitieux développé en collaboration avec Xbox Game Studios, les rumeurs de difficultés internes se sont intensifiées.
Le couperet est désormais tombé: Avalanche Studios ferme son antenne de Liverpool, tout en engageant une vague de licenciements dans ses bureaux de Malmö et Stockholm. Ce virage brutal est justifié par l’entreprise par les « défis actuels qui touchent notre business et l'industrie », un discours devenu tristement courant dans le secteur vidéoludique.
Au-delà de la nouvelle en elle-même, cette décision soulève des questions profondes sur la viabilité économique des studios indépendants de taille moyenne face aux incertitudes du marché, à la pression des éditeurs, et à la volatilité des financements.
Contexte: l’arrêt de Contraband et les signaux avant‑coureurs
L’annonce initiale de Contraband et son ambition
Contraband avait été présenté en grande pompe lors de l’E3 2021 comme une exclusivité Xbox, promettant un jeu coopératif en monde ouvert aux airs de casse organisé dans les années 70. Développé par Avalanche Studios en partenariat avec Xbox Game Studios, ce projet avait suscité un certain enthousiasme. L’idée d’un jeu mêlant la liberté d’action typique de Just Cause à des mécaniques coopératives inédites était prometteuse.
Le jeu devait servir de nouvelle vitrine technologique pour le moteur Apex d’Avalanche, avec des environnements destructibles et une approche sandbox poussée à l’extrême. Mais après cette annonce, le silence radio s’est rapidement installé, laissant planer le doute quant à la viabilité du projet.
« C'était censé être notre prochain gros coup, un projet capable de faire franchir un nouveau cap au studio » — ancien développeur d’Avalanche (sous couvert d’anonymat).
Le gel du projet et les premiers indices de troubles
Durant près de deux ans, Contraband a disparu des radars. Aucune bande-annonce, pas de démo jouable, et surtout, aucune communication officielle de la part du studio ou de Microsoft. Ce silence a fini par alerter les observateurs, d’autant plus que plusieurs postes-clés chez Avalanche ont été supprimés ou n’ont pas été renouvelés entre 2023 et 2024.
Finalement, en septembre 2025, plusieurs sources ont confirmé l’abandon pur et simple du développement de Contraband. Si Avalanche Studios n’a pas immédiatement commenté la nouvelle, cela a coïncidé avec des changements internes qui laissaient présager un coup de frein brutal sur les projets en cours.
Ce contexte d’échec d’un projet majeur a sans doute pesé lourdement dans la balance au moment de prendre les décisions de restructuration.
Les mesures annoncées: fermeture de Liverpool et coupes en Suède
Fermeture complète du studio de Liverpool
La première annonce officielle est tombée comme un couperet: Avalanche Studios ferme purement et simplement son bureau de Liverpool. Ouvert en 2020, ce studio représentait une volonté d’expansion stratégique vers le marché britannique, avec un accent particulier sur le développement de jeux d’action innovants. Il avait également pour objectif d'attirer de nouveaux talents tout en profitant d’un écosystème technologique très dynamique dans la région.
Mais à peine cinq ans plus tard, cette antenne n’est plus. La décision a été justifiée par la nécessité pour Avalanche de réduire ses coûts et d’adapter sa structure à la réalité actuelle de l’industrie. Une trentaine d’employés seraient concernés, et bien que des solutions de relocalisation aient été envisagées, la majorité devrait malheureusement quitter le groupe.
« Fermer un studio n’est jamais une décision facile. Nous remercions sincèrement nos collègues de Liverpool pour leur passion, leur dévouement et leur contribution. » — Communiqué officiel d’Avalanche Studios
Licenciements et restructurations à Malmö et Stockholm
La coupe ne s’arrête pas là. Les bureaux suédois de Malmö et Stockholm, pourtant considérés comme le cœur d’Avalanche Studios, ne sont pas épargnés. L’entreprise a confirmé une vague de licenciements significative, bien qu’aucun chiffre exact n’ait été communiqué publiquement à ce stade.
Cette restructuration interne s’accompagne, selon plusieurs sources, d’un réalignement stratégique: réduction du nombre de projets en cours, mutualisation de certaines équipes techniques, et réévaluation des priorités commerciales. En d’autres termes, Avalanche cherche à se recentrer sur des productions plus modestes, mais potentiellement plus rentables.
Cette rationalisation s’inscrit dans une tendance plus large que connaît l’industrie vidéoludique, avec une pression accrue sur les studios pour livrer des titres de qualité tout en limitant les risques financiers.
Les raisons évoquées et les enjeux économiques
« Les défis actuels dans l’industrie » — ce qu’on sait
Dans son communiqué officiel, Avalanche Studios a justifié ces mesures drastiques par « les défis actuels qui touchent notre business et l'industrie ». Une formulation vague, mais qui reflète une réalité bien connue des professionnels du secteur: le développement de jeux vidéo n’a jamais été aussi complexe, coûteux et incertain.
Depuis la fin de la pandémie, de nombreux studios ont connu des difficultés à maintenir la rentabilité dans un marché devenu extrêmement compétitif. La montée des coûts de production, les attentes toujours plus élevées du public, et les changements de modèles économiques (free-to-play, abonnements, etc.) ont mis à rude épreuve la stabilité financière même des studios les plus établis.
Dans le cas d’Avalanche, l’échec de Contraband a très probablement laissé un trou financier important, aggravé par des investissements importants sans retour immédiat. La fermeture de Liverpool et les licenciements en Suède peuvent donc être vus comme une tentative de préserver la viabilité à long terme du groupe.
Le poids du contexte global des licenciements dans le secteur
Avalanche n’est pas un cas isolé. Depuis 2023, l’industrie vidéoludique a été frappée par une vague de licenciements massive, touchant aussi bien des géants comme Electronic Arts, Ubisoft et Embracer Group, que des studios plus modestes. Cette instabilité structurelle montre que le secteur est en pleine mutation, et que les méthodes de gestion traditionnelles ne suffisent plus.
« Le cycle de développement classique ne fonctionne plus. Les studios doivent apprendre à être agiles, à s’adapter rapidement aux nouvelles tendances et aux contraintes économiques. » — Expert en économie vidéoludique, GamesIndustry.biz
Le cas Avalanche illustre cette dynamique: face à un modèle de développement AAA qui ne garantit plus le succès, les studios cherchent à réduire leur empreinte, à optimiser leurs dépenses et à revoir leur catalogue à la baisse.
Ce contexte oblige aussi les éditeurs à repenser leurs stratégies d’investissement. Financer un seul jeu sur plusieurs années devient de plus en plus risqué. Résultat: les projets sont annulés plus facilement, et les équipes sont redéployées — ou supprimées — en fonction des priorités budgétaires.
Réactions, conséquences et perspectives
Impact pour les employés et soutien annoncé
L’annonce a été un choc pour les employés, en particulier ceux du studio de Liverpool. Plusieurs anciens développeurs ont partagé leur déception et leur frustration sur les réseaux sociaux, certains pointant du doigt un manque de transparence interne. Pour beaucoup, la fermeture soudaine est vécue comme une trahison, notamment après des mois d’incertitude autour du sort de Contraband.
Face à cette situation, Avalanche Studios a promis un accompagnement des salariés licenciés, incluant des services de reclassement, un soutien psychologique, et des aides à la recherche d’emploi. Toutefois, certains témoignages laissent entendre que ces mesures sont encore floues, et qu’il reste à voir si elles seront réellement à la hauteur des promesses faites.
« Ce n’est pas seulement un emploi qu’on perd, c’est un projet de vie qui s’effondre. » — Ex-employé du studio de Liverpool sur LinkedIn
Ce que cela dit sur la stratégie future d’Avalanche
En dépit de cette restructuration, Avalanche Studios affirme vouloir continuer à produire « des jeux incroyables pour notre communauté de joueurs passionnés ». Une déclaration qui vise à rassurer, mais qui laisse en suspens la direction exacte que prendra le studio à l’avenir.
À court terme, on peut s’attendre à ce que le groupe se concentre sur des projets à plus petite échelle, probablement moins risqués, afin de rétablir sa stabilité financière. Il n’est pas exclu qu’Avalanche adopte un modèle hybride entre autoédition et collaborations plus ponctuelles avec de grands éditeurs, afin de mieux répartir les risques.
Il est également probable que le studio mise davantage sur ses technologies internes — notamment le moteur Apex — pour développer des expériences plus maîtrisées, en exploitant les compétences de ses équipes restantes.
Dans tous les cas, l’ère des projets ultra-ambitieux à la Contraband semble bel et bien révolue pour Avalanche Studios, du moins pour les années à venir.
Ce que cela révèle sur l’industrie vidéoludique aujourd’hui
Le tournant économique pour les studios AAA
La situation d’Avalanche Studios n’est que le reflet d’une crise plus profonde qui traverse l’ensemble de l’industrie vidéoludique. Le modèle AAA, longtemps considéré comme la voie royale vers le succès commercial, montre aujourd’hui ses limites. Avec des budgets dépassant parfois les 100 millions d’euros et des délais de développement de plus de cinq ans, ces projets sont devenus des paris risqués que même les gros studios peinent à assumer.
La multiplication des reports, des sorties bâclées, ou des jeux annulés en cours de route illustre la difficulté d’atteindre un équilibre entre qualité, innovation et rentabilité. Dans ce contexte, de nombreux développeurs — même expérimentés — se retrouvent précarisés, et les studios doivent faire des choix douloureux pour survivre.
Avalanche n’est qu’un exemple parmi d’autres. De nombreux studios indépendants ou semi-indépendants sont confrontés à la même équation: comment innover sans prendre le risque de tout perdre ?
Les leçons à tirer pour les éditeurs et développeurs
Cette nouvelle vague de rationalisation remet en question les stratégies traditionnelles de développement. Il devient essentiel pour les studios de:
- diversifier leurs sources de revenus, en explorant des modèles comme le live service, les extensions régulières ou les expériences épisodiques,
- adopter des approches plus agiles, avec des cycles de développement plus courts et une meilleure adaptabilité aux retours des joueurs,
- mieux maîtriser les attentes du public, en évitant les promesses excessives lors des annonces précoces de jeux.
« L’industrie du jeu vidéo entre dans une phase de maturité économique où la créativité doit s’aligner avec une rigueur budgétaire nouvelle. » — Analyste chez Newzoo
L’histoire d’Avalanche peut donc servir de leçon pour d’autres studios. Investir massivement sur un seul projet, sans filet de sécurité, n’est plus une stratégie viable. L’avenir semble plutôt appartenir à ceux qui sauront équilibrer ambition, innovation, et pragmatisme.
En quelques mots
La fermeture du studio de Liverpool par Avalanche Studios et les licenciements en Suède marquent une nouvelle étape dans la crise silencieuse qui secoue l’industrie vidéoludique. Si Contraband symbolisait un tournant vers des projets plus ambitieux, son abandon a, au contraire, précipité un recentrage brutal des priorités du studio.
À travers cet épisode, Avalanche rejoint la longue liste des développeurs frappés par un environnement économique de plus en plus imprévisible. Mais loin d’être un simple cas isolé, cette restructuration illustre les transformations profondes du secteur: fin du modèle AAA hégémonique, recherche de rentabilité immédiate, et nécessité d’adopter des stratégies plus souples.
Il reste à voir si Avalanche Studios saura rebondir et réinventer sa formule. Une chose est certaine: l’industrie du jeu vidéo vit une époque charnière, et seuls les acteurs capables de s’adapter survivront à cette transition.
