
Sur un marché de l’édition de jeux vidéo saturé, où les gros acteurs multiplient les lancements et les stratégies marketing pour dominer l’attention des joueurs, il devient difficile pour un éditeur de taille moyenne de tracer sa propre voie. C’est pourtant le défi que s’est lancé Twin Sails Interactive, fraîchement séparé du groupe Asmodee, à travers un rachat stratégique par la direction intervenu le mois dernier. En reprenant son indépendance tout en conservant son équipe, la société affiche clairement son ambition: redéfinir le rôle de l’éditeur dans l’écosystème des jeux indépendants.
À la tête de ce virage stratégique, Nicolas Godement, PDG de Twin Sails, veut aller à contre-courant de la chasse au "next big thing", cette obsession du succès éphémère qui pousse tant de studios à s’épuiser. Son credo ? Miser sur la durabilité des marques, accompagner les développeurs dans le temps, et appliquer certaines méthodes issues des AAA pour structurer et faire grandir les jeux indépendants comme de véritables franchises. Une démarche originale qui cherche à concilier la créativité artisanale du jeu indé avec la rigueur industrielle des grands éditeurs.
En s’ouvrant à la reprise de licences existantes, au développement de contenu sur le long terme, et à une collaboration étroite avec les studios, Twin Sails veut se positionner comme un éditeur à part, plus engagé, plus visionnaire. Voyons comment cette stratégie s’articule concrètement et pourquoi elle pourrait bien changer la donne pour de nombreux développeurs.
Un nouveau départ stratégique pour Twin Sails Interactive
L’indépendance comme levier de flexibilité
Lorsque Twin Sails Interactive se sépare du groupe Asmodee, ce n’est pas une fuite en solitaire, mais bien une libération volontaire, pensée pour redéfinir sa manière de travailler. Ce rachat par la direction — un management buyout — permet à la société de conserver son équipe intacte tout en gagnant une liberté d’action cruciale pour son avenir. Désormais, Twin Sails peut adapter ses méthodes, ses priorités et ses partenariats sans rendre de comptes à une structure mère trop directive.
Cette indépendance stratégique ouvre la porte à une vision plus agile et personnalisée de l’édition. Là où les grands groupes doivent répondre à des objectifs financiers massifs, Twin Sails choisit de privilégier la qualité des relations avec les développeurs et l’investissement sur le long terme. En clair: moins de jeux, mais mieux accompagnés, avec une ambition assumée de faire émerger des marques durables, plutôt que de courir après des "one-hit wonders".
Les ambitions portées par Nicolas Godement
À la tête de cette transition, Nicolas Godement insuffle une direction claire: bâtir une plateforme solide pour les studios indépendants, en les soutenant bien au-delà du lancement initial. Selon lui, l’erreur classique est de considérer qu’une fois le jeu sorti, il faut immédiatement enchaîner sur le projet suivant. Or, si un titre fonctionne, pourquoi ne pas capitaliser sur cet élan ?
Godement propose une alternative audacieuse: étudier les raisons du succès, comprendre ce qui a touché les joueurs, et bâtir autour de cela une franchise, un univers, un rendez-vous régulier. Ce modèle inspiré des pratiques AAA — mais appliqué à l’échelle indé — pourrait donner naissance à des marques durables dans le paysage vidéoludique.
Comme il le souligne:
"Si nous parvenons à faire éclore un portefeuille de marques adorées, notre activité sera non seulement plus robuste, mais aussi plus utile pour les studios."
En somme, Twin Sails ne veut pas simplement éditer des jeux, mais construire un écosystème cohérent, stable et propice à la croissance créative.
Une approche long-termiste inspirée des AAA
Rompre avec la quête du hit unique
Dans le monde de l’édition vidéoludique, nombreux sont ceux qui misent tout sur le prochain carton. Une logique qui, si elle peut rapporter gros, engendre une pression constante sur les studios et les oblige souvent à passer d’un projet à l’autre sans réelle continuité. Pour Twin Sails Interactive, cette stratégie est vouée à l’essoufflement.
Nicolas Godement rejette cette mentalité du "succès jetable". Selon lui, si un jeu connaît une réussite fulgurante, la réponse ne devrait pas être de passer à autre chose, mais bien de consolider ce succès. Cela implique de comprendre ce qui a résonné chez les joueurs, de bâtir autour de cette base et d’imaginer des extensions, des contenus, voire des suites structurées.
Ce raisonnement, typique des éditeurs AAA qui font vivre leurs licences pendant des décennies, peut paraître surprenant dans l’univers indépendant. Mais Twin Sails compte prouver que cette logique est applicable — et même souhaitable — dans ce secteur. Plutôt que de chercher le buzz, l’éditeur mise sur la construction patiente de franchises, avec un suivi continu et une relation durable avec les studios.
Des franchises durables plutôt que des coups d’éclat
Construire une marque, ce n’est pas uniquement empiler les DLC. Cela commence par une vision claire de ce que représente le jeu: son identité, son message, son potentiel d’évolution. Twin Sails veut aider les développeurs à formaliser cette vision dès le début, à travers des outils concrets comme des bibles de lore, des documents de design visuel ou des roadmaps de contenu à dix ans.
Godement l’explique clairement:
"Les meilleures entreprises AAA sont intentionnelles dans leur façon de bâtir des marques de jeux. Cela fait partie de leur structure: rôles, processus, documentation visant à soutenir les franchises."
En s’inspirant de cette rigueur, mais en la rendant accessible aux studios indépendants, Twin Sails espère créer des expériences de jeu capables de se renouveler sans perdre leur essence. L’objectif est de faire naître des univers que les joueurs auront envie de retrouver année après année, et non des jeux qu’on oublie après la première hype.
C’est un pari audacieux, mais qui pourrait offrir à Twin Sails une place unique sur le marché: celle d’un bâtisseur de marques indépendantes, avec des fondations solides et une vision à long terme.
Revaloriser le potentiel caché des licences existantes
Investir dans les IP oubliées ou sous-exploitées
Twin Sails Interactive ne se limite pas à la signature de nouveaux projets prometteurs. L’éditeur adopte également une stratégie très ciblée de récupération de jeux ou d’univers abandonnés par leurs créateurs. Dans un marché où de nombreuses pépites n’ont pas eu droit à la visibilité qu’elles méritaient, il y a un vivier d’opportunités inexploitées.
"Nous ne demandons pas à posséder les IP en tant que condition de notre partenariat," précise Nicolas Godement. Toutefois, des accords séparés peuvent être conclus si le studio souhaite vendre ses droits, ou même s’il a simplement laissé un jeu en jachère. Cette approche permet à Twin Sails de repérer des jeux au fort potentiel et de les relancer avec une nouvelle énergie.
L’idée est simple: plutôt que de repartir de zéro, pourquoi ne pas bâtir sur des bases solides qui ont déjà une communauté, même modeste ? Que ce soit en achetant des droits ou en réactivant une IP sous-exploitée, Twin Sails veut jouer un rôle de gardien des jeux en sommeil, en leur offrant une seconde vie.
Recréer une communauté autour des jeux délaissés
Relancer une IP ne suffit pas. Il faut aussi rétablir un lien fort avec la communauté initiale. Pour cela, Twin Sails mise sur des stratégies bien rôdées: mises à jour techniques, contenu inédit, événements en ligne, ou encore suites spirituelles adaptées aux attentes modernes.
C’est un travail minutieux, mais qui peut porter ses fruits. Nicolas Godement souligne l’importance de "raviver les communautés et les fans de licences stagnantes". C’est un travail de rénovation éditoriale, qui demande sensibilité, compréhension du produit, et une réelle volonté de dialoguer avec les joueurs.
Les exemples concrets ne manquent pas: Ember Knights est maintenu en vie depuis trois ans grâce à un flux constant de nouveaux contenus. Quant à Terraforming Mars, son parcours de sept ans témoigne de cette capacité à soutenir une expérience dans la durée.
"Nous adoptons une vision à long terme. Ce n’est pas juste une mise à jour, c’est une stratégie pour faire vivre une marque durablement," insiste Godement.
Avec cette philosophie, Twin Sails entend redonner une voix aux jeux oubliés et leur offrir une seconde chance, avec des moyens et un accompagnement adaptés aux attentes d’aujourd’hui.
Un accompagnement créatif renforcé pour les indés
De la documentation à la roadmap décennale
Là où de nombreux éditeurs indépendants limitent leur rôle à la promotion ou au financement initial, Twin Sails Interactive souhaite aller beaucoup plus loin dans son accompagnement. Pour Nicolas Godement, un partenariat réussi repose sur une implication créative réelle et structurée dès les premières phases de développement.
Cela passe notamment par la mise en place d’outils professionnels empruntés à l’univers AAA, souvent absents dans les studios indés: bibles de lore pour poser les fondations narratives, artbooks de production pour définir une direction visuelle claire, et surtout, roadmaps à long terme permettant d’anticiper le contenu sur plusieurs années.
"Il faut donner au jeu une structure qui tienne dans la durée", explique Godement. L’objectif est de penser le projet comme une marque en devenir, pas seulement comme un jeu isolé. Cette rigueur permet de construire un imaginaire cohérent et riche, dans lequel les joueurs pourront revenir avec plaisir, comme on le ferait pour une série ou une saga.
Soutien aux opérations live et suivi post-lancement
Le soutien de Twin Sails ne s’arrête pas au jour de la sortie. Bien au contraire, c’est à ce moment-là que le vrai travail commence. L’éditeur se positionne comme un partenaire actif dans les opérations live, en apportant des ressources pour gérer les mises à jour, les DLC, les événements spéciaux, ou encore les équilibrages et ajustements communautaires.
Selon les cas, le développement d’un nouvel épisode peut être plus pertinent qu’un énième patch. Tout dépend du jeu, de sa réception, et de la direction créative souhaitée. Twin Sails adapte donc son approche selon le profil du projet, avec une constante: l’écoute active de la communauté et l’adaptation du contenu en fonction de ses retours.
"Cela va au-delà de la préproduction ou du lancement. C’est une gestion sur plusieurs années, où chaque évolution du jeu est pensée dans une logique de marque," souligne Godement.
Avec cette vision du support étendu, Twin Sails cherche à bâtir une relation de confiance durable avec ses studios partenaires, et à sécuriser une croissance saine et constante pour leurs créations.
En quelques mots
Dans un univers où l’édition de jeux vidéo est souvent synonyme de précipitation, de paris risqués et de cycles de vie trop courts, Twin Sails Interactive propose une alternative ambitieuse et réfléchie. En reprenant son indépendance via un rachat stratégique, la société entend tirer profit de sa liberté pour poser les bases d’un modèle plus durable, plus équilibré et surtout, plus bénéfique pour les studios indépendants.
En s’inspirant des pratiques des éditeurs AAA — mais sans leurs excès — Twin Sails veut apporter aux développeurs des outils, une structure et une vision à long terme. Qu’il s’agisse de créer une franchise à partir d’un hit inattendu ou de redonner vie à une IP oubliée, l’éditeur mise sur la construction de marques fortes, capables de durer et de fédérer des communautés fidèles.
Mais la vraie force de Twin Sails réside dans sa volonté de ne pas imposer un modèle unique. Chaque partenariat est pensé sur mesure, avec l’ambition d’accompagner des jeux qui ont quelque chose à dire, qui se distinguent dans un espace de plus en plus compétitif.
"Dans un marché saturé, il faut savoir ce que l’on représente," conclut Nicolas Godement.
"Nous, on veut bâtir des marques que les joueurs retrouveront avec plaisir, année après année."
En misant sur l’intelligence stratégique plutôt que sur la précipitation commerciale, Twin Sails Interactive semble bien parti pour s’affirmer comme un éditeur atypique et profondément engagé dans la réussite des studios qu’il soutient.