33 % des joueurs achètent moins d’un jeu par an: mutation du marché vidéoludique

AuteurArticle écrit par Vivien Reumont
|
date de publication13/10/2025

Un tiers des joueurs achètent moins d’un jeu vidéo par an.
Ce chiffre, issu du rapport Future of Video Games de Circana (Q3 2025), a de quoi interpeller. Dans une industrie pesant des centaines de milliards de dollars, où les sorties de blockbusters s’enchaînent à un rythme effréné, on pourrait croire que les joueurs remplissent leur bibliothèque numérique chaque mois. Et pourtant, 33 % d’entre eux n’achètent même pas un seul titre par an.

Ce constat, loin d’être anodin, reflète une mutation profonde dans les habitudes de consommation vidéoludique. Face à une offre pléthorique, des jeux de plus en plus longs, des services par abonnement toujours plus présents et une conjoncture économique tendue, les priorités évoluent.

"La fréquence d’achat n’est plus un indicateur unique de l’engagement dans le jeu vidéo."
– Analyse sectorielle, Circana 2025

Mais que signifie vraiment cette baisse d’achat ? S’agit-il d’un désintérêt croissant pour les nouveautés, d’un désamour pour l’industrie ou d’une simple rationalisation des dépenses ? Et surtout, quelles conséquences cela entraîne-t-il pour les éditeurs, les développeurs et les modèles économiques ?

Plongeons dans les données, explorons les profils des joueurs concernés et analysons ce que cette tendance dit du présent… et de l’avenir du jeu vidéo.

 

Une tendance révélée par les chiffres : que nous dit l’étude de Circana ?

Les résultats du sondage de 2025

Le cabinet Circana a mené une enquête approfondie au troisième trimestre 2025, posant une question simple mais révélatrice : "À quelle fréquence achetez-vous un nouveau jeu vidéo ?". La réponse ? Seuls 4 % des joueurs déclarent acheter un jeu plus d’une fois par mois, tandis que la majorité opère un tri bien plus sélectif. Le chiffre clé qui ressort de cette étude : 33 % des joueurs n’achètent même pas un jeu par an.

Ces résultats marquent une rupture avec l’image classique du joueur compulsif, toujours à l'affût de la nouveauté. Au contraire, une grande part du public semble désormais adopter une stratégie d’achat minimale, voire d’abstention volontaire.

"Nous assistons à une redéfinition du comportement d’achat vidéoludique. Ce n’est plus la quantité de titres achetés qui prime, mais la profondeur de l’expérience."
Rapport Circana, Q3 2025

Un aperçu contrasté de la fréquence d’achat

L’étude révèle une polarisation du marché :

  • 36 % des joueurs achètent un jeu tous les trois mois ou plus fréquemment.
  • Tandis qu’un autre tiers (33 %) en achète moins d’un par an.
  • Entre les deux, on retrouve des profils “modérés” : achat semestriel (18 %) ou annuel (12 %).

Cette répartition indique un décalage croissant entre les pratiques de consommation et les modèles traditionnels de sortie de jeux AAA ou de campagnes marketing centrées sur la nouveauté permanente.

Qui sont ces 33 % de joueurs ?

Si les données de Circana ne détaillent pas encore précisément les profils sociodémographiques, d'autres études et analyses industrielles pointent vers :

  • Des joueurs occasionnels, souvent sur mobile ou consoles d’ancienne génération.
  • Des consommateurs désabusés par les promesses non tenues des gros studios.
  • Ou encore des amateurs fidèles à quelques jeux-service, y consacrant tout leur temps sans ressentir le besoin d’acheter autre chose.

On parle ici de profils variés mais réunis par un même réflexe : acheter moins, mais jouer mieux (ou différemment).

Une évolution par rapport aux années précédentes ?

Bien qu’il n’y ait pas toujours eu de mesure standardisée de cette fréquence, les tendances antérieures suggéraient une intensification des achats à la faveur de la montée du numérique et des soldes en ligne. Ce retournement semble donc refléter :

  • Une saturation du marché.
  • Un retour à une consommation plus raisonnée.
  • Et une évolution des attentes, notamment vis-à-vis des politiques de contenu additionnel ou de finition des jeux au lancement.

En somme, ce chiffre de 33 % n’est pas un simple détail statistique. C’est le signal d’une mutation silencieuse, mais significative, dans le comportement des joueurs.

 

Le profil de ces joueurs économes : motivations et contraintes

Raisons économiques : inflation, prix des jeux, modèles économiques

Difficile d’analyser cette tendance sans évoquer la dimension économique. Avec l’inflation généralisée et l’augmentation des prix des AAA (souvent à 79,99 € pour les versions standard sur consoles de nouvelle génération), de nombreux joueurs choisissent de freiner leurs achats. Ajoutons à cela :

  • Le coût des microtransactions, parfois indispensables pour profiter pleinement d’un jeu.
  • Le prix des éditions “complètes” ou “ultimes”, qui repoussent encore plus l’acte d’achat.
  • Des revenus disponibles qui n’augmentent pas aussi vite que les prix.

Pour beaucoup, acheter un jeu devient un investissement, et non plus un simple loisir accessible.

Temps disponible et backlog infini

Le facteur temps est tout aussi déterminant. Un nombre croissant de joueurs, souvent adultes, jonglent entre travail, vie familiale, obligations et autres hobbies. Résultat :

  • Le backlog (liste de jeux non terminés) s’allonge.
  • L’achat d’un nouveau titre n’est pas une priorité s’il reste des dizaines d’heures à finir sur le précédent.
  • Le joueur devient plus sélectif, préférant maximiser l’expérience d’un jeu déjà acquis plutôt que d’accumuler les nouveautés.

"J’ai acheté trois jeux cette année… et j’en ai terminé un seul. Pourquoi en acheter d’autres ?"
Joueur interrogé sur Reddit, 2025

Changement dans la perception de la valeur

Le modèle traditionnel — acheter, jouer, finir, recommencer — laisse de plus en plus la place à une perception durable de la valeur d’un jeu :

  • Un bon jeu doit offrir de la rejouabilité, du contenu post-lancement et un bon rapport temps/prix.
  • Les expériences narratives de 8 à 10 heures, même excellentes, sont parfois jugées trop chères face à d’autres formats.

De plus, les nombreuses déceptions liées à des lancements bâclés (bugs, contenus absents, patchs de 50 Go au jour 1…) renforcent cette prudence.

Le rôle croissant des services par abonnement

L’arrivée de services comme le Game Pass, PlayStation Plus Extra/Premium ou encore EA Play, a profondément changé la donne. Pour un tarif mensuel ou annuel relativement bas :

  • Le joueur a accès à des centaines de titres.
  • Il peut tester sans risque.
  • Il remplace l’achat unique par une consommation “à la Netflix”.

Ce modèle explique en grande partie pourquoi certains joueurs n’achètent quasiment plus de jeux à l’unité : ils ont tout ce qu’il leur faut… dans leur abonnement.

 

Industrie du jeu vidéo : faut-il s’inquiéter ?

Une baisse des ventes… ou une mutation des habitudes ?

À première vue, une chute dans la fréquence d’achat pourrait inquiéter les éditeurs. Moins d’achats signifie potentiellement moins de revenus directs. Mais cette lecture est trop simpliste. Ce que nous observons n’est pas nécessairement un désengagement, mais plutôt une transformation profonde des habitudes de consommation. Le joueur d’aujourd’hui ne veut plus acheter pour acheter : il veut que chaque achat ait du sens, qu’il corresponde à ses envies, à son temps, et à son portefeuille.

Il ne faut donc pas confondre quantité de jeux achetés et intensité de l’engagement.

Moins d’achats mais plus d’engagement ?

Beaucoup de joueurs préfèrent désormais s’impliquer à fond dans un seul jeu :

  • Quête de complétion à 100 %,
  • Investissement dans les saisons (battle pass),
  • Participation à une communauté autour du jeu.

Dans ce modèle, un joueur peut dépenser bien plus sur un seul jeu que s’il en achetait cinq à la suite. On le voit clairement dans des titres comme :

  • Fortnite, Genshin Impact ou Warframe pour le F2P,
  • Baldur’s Gate 3 ou Elden Ring pour les AAA à forte durée de vie,
  • Les MMO ou jeux service (Destiny 2, Final Fantasy XIV) pour les communautés engagées.

"Un joueur qui dépense 100€ sur un seul jeu en six mois peut rapporter autant, voire plus, qu’un joueur qui achète deux jeux à 50€."
Analyste chez Newzoo, 2025

L’effet des jeux "Game as a Service"

Le modèle du “jeu en tant que service” encourage les studios à créer des expériences évolutives. Le but : garder le joueur actif le plus longtemps possible, plutôt que de lui vendre un nouveau titre tous les trimestres. Cela signifie :

  • Moins de sorties annuelles,
  • Plus de mises à jour, d’événements, de contenus supplémentaires,
  • Et donc, potentiellement, moins d’achats mais plus de revenus récurrents.

Ce modèle, bien qu’efficace financièrement, pose des questions de durabilité créative : tous les jeux ne peuvent pas devenir des services.

Le piège des blockbusters coûteux

Enfin, cette évolution fragilise un certain type de jeux : les AAA solo à gros budget, sans contenu récurrent ni abonnements. Ces titres, qui nécessitent des investissements colossaux (parfois au-delà de 100 millions d’euros), peuvent difficilement être rentabilisés si une grande partie des joueurs n’achète qu’un jeu par an… et choisit autre chose.

Cela pousse les éditeurs à prendre moins de risques, à privilégier les suites, les remakes, ou à investir dans le multijoueur et la monétisation continue.

 

Nouveaux modèles économiques : réponse ou fuite en avant ?

Free-to-play, abonnements & bundles : le pari de l’accès

Face à la baisse de fréquence d’achat, les acteurs du marché misent massivement sur les modèles dits « accessibles ». Parmi eux :

  • Le free-to-play : le jeu est gratuit à l’accès initial, mais les revenus sont générés via les microtransactions, contenus cosmétiques, passes saisonniers ou objets consommables.
  • Les abonnements (Game Pass, PlayStation Plus, Ubisoft+ etc.) : pour une somme fixe mensuelle ou annuelle, l’abonné accède à un catalogue de titres, parfois dès leur jour de lancement.
  • Les bundles / packs groupés : combiner plusieurs jeux ou contenus supplémentaires à un tarif réduit (ex. pack d’extensions, éditions “collectionneur numériques”, ou gros packs de studios).

Ces modèles réduisent la barrière à l’entrée pour le joueur, mais déplacent le pari : ne plus vendre un « jeu », mais vendre l’engagement et la rétention.

Le cloud gaming : “accès partout, sans propriété”

Le cloud gaming (Stadia, Luna, GeForce Now, xCloud…) pousse cette logique encore plus loin : plutôt que posséder le jeu sur une console ou un PC, le joueur le stream à la demande. L’intérêt ?

  • Diminuer le coût matériel lié à l’achat d’une console ou d’un PC haut de gamme.
  • Permettre un accès instantané, sans installation ni téléchargement lourd.
  • Encourager l’abonnement plutôt que l’achat permanent.

Dans ce contexte, la notion d’“acheter un jeu” perd une part de son sens.

Microtransactions & monétisation continue : la rente permanente

Plutôt que de compter sur des pics de ventes au lancement, les éditeurs cherchent à créer des revenus durables :

  • Pass de saison, abonnements premium in-game, événements payants limités.
  • DLC épisodiques et expansions payantes.
  • Contenus cosmétiques et objets purement esthétiques (skins, emotes, etc.) à bas prix mais à volume élevé.

Cette stratégie maximise la valeur à vie par utilisateur (LTV), même si l’utilisateur n’achète qu’un jeu par an.

Impact sur les studios indépendants & les innovations à risque

Si les gros éditeurs peuvent amortir l’investissement grâce aux revenus continus, la situation est plus difficile pour les studios émergeants ou indés :

  • Le modèle “jeu-service” demande des équipes dédiées aux mises à jour, à la maintenance et aux événements, ce qui n’est pas toujours viable pour les petits budgets.
  • Le risque financier des innovations audacieuses augmente si le retour sur investissement est retardé ou incertain.
  • Nombre d’indépendants oscillent entre l’édition traditionnelle (vente unique) et des modèles hybrides (free-to-play ou expansions payantes).

Bilan : ces nouveaux modèles peuvent être une réponse pertinente à la baisse des achats ponctuels. Mais leur succès dépend largement de l’équilibre entre monétisation, respect du joueur, qualité du contenu renouvelé et soutenabilité pour les développeurs.

 


En quelques mots

Le chiffre de 33 % de joueurs n’achetant pas plus d’un jeu par an n’est pas simplement une statistique surprenante : c’est le reflet d’un bouleversement profond du paysage vidéoludique. Entre les pressions économiques, la montée en puissance des services par abonnement, la saturation de l’offre et les transformations du rapport au temps, les comportements d’achat évoluent.

Les joueurs deviennent plus sélectifs, plus exigeants, et souvent plus investis dans quelques expériences choisies plutôt qu’une accumulation frénétique de titres. Le modèle “acheter un jeu = soutenir l’industrie” a cédé la place à une logique d’usage, d’accès et d’optimisation.

L’industrie, de son côté, s’adapte : jeux-services, free-to-play, cloud, microtransactions, contenus étalés dans le temps. Si cette transition permet de maintenir l’intérêt et la rentabilité, elle soulève aussi des enjeux cruciaux : comment préserver la créativité, l’équilibre économique des studios indépendants, et surtout, le plaisir simple de jouer ?

La baisse de l’achat ne signe pas la fin du jeu vidéo. Mais elle annonce, sans doute, un nouvel âge de la consommation vidéoludique.

Partager sur Facebook Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Partager sur Linkedin Partager sur WhatsApp Partager sur WhatsApp

Articles similaires

Test Active Matter PC: extraction shooter entre tension et anomalies Tests de jeux

18/10/2025

Test Active Matter PC: extraction shooter entre tension et anomalies

Notre test de Active Matter sur PC explore son gameplay tendu et ses anomalies inquiétantes. Un prototype prometteur, mais encore instable.

En voir plus
Marvel Zombies, Glenn Schofield et révélations majeures à la gamescom Asia 2025 Événements et conventions

18/10/2025

Marvel Zombies, Glenn Schofield et révélations majeures à la gamescom Asia 2025

Marvel Zombies, Glenn Schofield et projets innovants ont marqué le jour 2 de la gamescom Asia × Thailand Game Show 2025.

En voir plus
Spellcasters Chronicles: le virage multijoueur audacieux de Quantic Dream Lancement de jeu

17/10/2025

Spellcasters Chronicles: le virage multijoueur audacieux de Quantic Dream

Quantic Dream dévoile Spellcasters Chronicles, un jeu multijoueur 3v3 stratégique mêlant magie, invocations et action compétitive.

En voir plus