POSTAL Bullet Paradise annulé: controverse sur l'IA et fermeture du studio

AuteurArticle écrit par Vivien Reumont
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date de publication08/12/2025
Capture d'écran d’un jeu de tir à la première personne issu de la série Postal, présentant un style graphique rétro en 3D pixelisée. Le joueur tient une arme artisanale dans une main et une pelle ensanglantée dans l’autre, visibles en bas à gauche et à droite de l’image. Il fait face à un groupe de personnages caricaturaux en surpoids, vêtus de hauts courts et de jeans, levant des pancartes rouges et jaunes au-dessus de leur tête, avançant de manière hostile dans une rue de banlieue américaine typique. En arrière-plan, on aperçoit une église blanche avec un clocher, des maisons résidentielles colorées et une végétation luxuriante sous un ciel bleu partiellement nuageux. L’ambiance est absurde, décalée et volontairement provocante, caractéristique de l’humour noir et satirique propre à la licence Postal.

L’univers de Postal n’a jamais été connu pour faire dans la dentelle… mais cette fois, la polémique dépasse le cadre de ses habituelles provocations vidéoludiques. Le spin-off récemment annoncé, POSTAL: Bullet Paradise, promettait un virage inattendu vers le genre du bullet-heaven, avec une touche de coopération en ligne. Une formule intrigante sur le papier, qui a toutefois tourné au désastre en quelques jours seulement.

Car derrière cette promesse, un conflit explosif a émergé autour d’une question brûlante dans l’industrie du jeu vidéo : le recours à l’intelligence artificielle générative pour la création d’assets. Accusations, démentis, insultes publiques, volte-face de l’éditeur et… fermeture brutale du studio développeur. L’affaire POSTAL: Bullet Paradise est un cas d’école à la croisée des enjeux technologiques et de la gestion de communauté.

Retour sur une tempête numérique qui a laissé un projet à l’abandon, un studio fermé et une communauté en ébullition.

 

Qu’est‑ce que Postal: Bullet Paradise ?

Le concept attendu : spin‑off « bullet-heaven » / coop en ligne

POSTAL: Bullet Paradise s’annonçait comme une étonnante mutation pour la franchise POSTAL. Connue pour son ton irrévérencieux, son humour noir et sa violence cartoonesque, la série explorait ici un territoire inattendu : le genre du bullet-heaven, une déclinaison frénétique du twin-stick shooter où le joueur doit affronter des vagues d’ennemis à l’écran dans un chaos maîtrisé.

Avec une approche axée sur la coopération en ligne, le spin-off promettait d’introduire un gameplay plus accessible, tout en conservant l’ADN « politiquement incorrect » de la licence. Un pari audacieux qui aurait pu séduire une nouvelle frange de joueurs, ou offrir un bol d’air frais aux fans de la première heure.

Le reveal initial, accompagné d’une bande-annonce, laissait entrevoir une direction artistique stylisée, avec des environnements surchargés d’action, des personnages typiques de l’univers Postal, et un système de progression nerveux. Mais derrière ce vernis explosif, la communauté n’a pas tardé à gratter… et à trouver matière à polémique.

Le studio derrière : Goonswarm Games + éditeur Running With Scissors

Derrière ce projet se trouvait un studio peu connu : Goonswarm Games, qui collaborait avec le plus célèbre Running With Scissors, éditeur historique de la saga POSTAL. Cette configuration n’est pas inhabituelle dans l’industrie — confier un spin-off à un studio tiers permet de diversifier l’offre sans monopoliser les équipes internes.

Mais cette sous-traitance créative a rapidement posé problème. Peu après la révélation, des doutes ont surgi concernant la qualité des assets graphiques, jugés « suspects » par certains fans attentifs. Certains éléments semblaient générés automatiquement, sans la patte artisanale habituelle de la série. Le soupçon était lancé : Goonswarm aurait utilisé des outils d’IA générative pour produire certains visuels. Et la machine s’est emballée…

 

La controverse autour de l’IA et le tollé des fans

Accusations d’utilisation d’IA générative pour les assets / trailer

Il n’aura pas fallu longtemps à la communauté POSTAL pour repérer ce qu’elle considérait comme une anomalie visuelle dans Bullet Paradise. Certains assets présentaient une esthétique qui, selon plusieurs internautes, trahissait une origine artificielle : proportions étranges, textures inégales, design incohérent... autant d’indices pointant vers l’utilisation de générateurs d’images par intelligence artificielle, une technologie de plus en plus présente — et controversée — dans l’industrie du jeu vidéo.

Le trailer lui-même est passé au crible. Des utilisateurs sur Reddit et Twitter (X) ont partagé des captures d’écran et des zooms pointant des éléments suspects. La suspicion s’est rapidement muée en conviction, et Goonswarm Games s’est retrouvé dans la ligne de mire. Ce que la communauté a perçu comme de la paresse, voire une trahison des principes créatifs, a enflammé les forums.

« POSTAL n’a jamais été un jeu poli, mais au moins il avait une âme. Là, on a l’impression de regarder un collage de trucs faits à l’arrache avec Midjourney », écrit un utilisateur sur Discord.

Réactions des fans et critiques contre le projet

La réaction ne s’est pas faite attendre. Les forums officiels, les réseaux sociaux et même les serveurs Discord de la communauté ont été envahis de commentaires indignés. Une partie des fans historiques de POSTAL a estimé que le recours à l’IA pour créer des assets graphiques allait à l’encontre de l’esprit anarchique, satirique, mais fondamentalement artisanal de la licence.

Le problème n’était pas uniquement esthétique. Beaucoup ont exprimé des inquiétudes sur le respect des artistes humains, sur la dévalorisation du travail créatif, et sur la transparence du studio. Dans un contexte où l’IA suscite déjà de vifs débats dans l’industrie, Goonswarm Games a été accusé d’avoir profité de l’opacité de ses méthodes pour masquer une production automatisée et sans âme.

Et le plus ironique ? C’est que Goonswarm a catégoriquement nié l’utilisation d’IA générative. Le studio a publié des fichiers censés prouver que les visuels avaient été réalisés par des artistes humains. Mais ces documents ont eux-mêmes été mis en doute par la communauté, qui a continué d’analyser le moindre pixel à la recherche de preuves.

 

La réaction de Running With Scissors et la chute en cascade

Insultes publiques, tentatives de démenti, puis volte‑face de l’éditeur

La tension est montée d’un cran quand Mike Jaret-Schachter, copropriétaire de Running With Scissors, a décidé de prendre la parole… à sa manière. Sur le serveur Discord officiel, il a violemment réagi aux accusations portées contre le projet Bullet Paradise :

« Vous êtes juste une bande de connards ignorants », a-t-il lancé à l’adresse de la communauté, niant fermement l’usage d’intelligence artificielle.

Ce dérapage verbal n’était que le début. Le community manager de l’éditeur a enfoncé le clou, qualifiant les joueurs d’« abrutis ». Plutôt que d’apaiser la situation, Running With Scissors a donc jeté de l’huile sur le feu. Si une partie des fans s’indignait du projet, l’autre se révoltait désormais contre l’attitude de l’éditeur.

Dans une tentative maladroite de redresser la barre, Goonswarm Games a publié des fichiers censés attester d’un pipeline de production sans IA, mais ces efforts ont eu l’effet inverse : la communauté, déjà sur les nerfs, a trouvé ces preuves peu convaincantes, et certains assets ont été de nouveau suspectés d’être générés artificiellement.

La situation devenait incontrôlable.

Annonce de l’annulation du jeu et fermeture de Goonswarm — effet domino

Quelques jours plus tard, Running With Scissors publiait un communiqué officiel sur X (anciennement Twitter), annonçant la fin de l’aventure POSTAL: Bullet Paradise :

« Leur [Goonswarm] travail a gravement nui à notre marque et à la réputation de notre entreprise. [...] Notre confiance envers l'équipe de développement est rompue, c'est pourquoi nous avons mis fin au projet. »

Le message, aussi lapidaire que définitif, a marqué une rupture nette. L’éditeur a pris ses distances, abandonné le projet, et, dans la foulée, Goonswarm Games a annoncé la fermeture de son studio. Dans un dernier communiqué publié par les développeurs, le ton était amer et résigné :

« Notre projet, et tout ce que nous avons construit ces six dernières années, a été annulé en quelques jours seulement. [...] Nous avons décidé de fermer le studio et de mettre fin à toutes nos activités futures. »

Leur message concluait sur un mot d’adieu plein de tristesse et d’amertume, dénonçant les fausses accusations, les menaces, et le fait d’avoir été pris malgré eux dans une guerre idéologique autour de l’IA. En quelques jours, un projet entier, et un studio entier, ont été balayés par la puissance du backlash numérique.

Message officiel publié par le studio Goonswarm Games sur fond dégradé du noir vers le rouge foncé. Le texte, centré, annonce l’annulation soudaine de leur projet et la fermeture définitive du studio après six ans de travail. Le studio explique avoir été faussement accusé d'utiliser de l'art généré par intelligence artificielle, ce qui a provoqué une vague de harcèlement, de menaces et d’insultes, rendant la situation ingérable. Ils expriment leur tristesse pour les artistes impliqués, affirmant qu'ils sont injustement pris dans une guerre autour de l’IA. En bas de l’image, le logo du studio Goonswarm Games apparaît en rouge et noir, représentant un personnage barbu au style graphique agressif, sur fond de ville en ruines.

Traduction du texte en français :
Notre projet, ainsi que tout ce que nous avons construit au cours des six dernières années, a été annulé en seulement quelques jours.

Notre studio a été accusé à tort d’utiliser de l’art généré par IA dans nos jeux, et toutes nos tentatives de clarification n’ont fait qu’aggraver la situation. Au cours des dernières heures, nous avons reçu un grand nombre de menaces, d’insultes et de moqueries, ce qui nous a poussés à prendre une décision très difficile.

Nous sommes profondément désolés pour les artistes qui ont mis toute leur âme dans ce projet et soutenu notre studio, pour au final faire face à de fausses accusations liées à l’IA. C’est dur de mettre autant d’énergie dans un jeu pour finir pris au milieu d’une guerre autour de l’IA, par accident.

Nous avons décidé de fermer le studio et d’arrêter toutes nos activités futures.

Merci d’avoir été avec nous. Restez forts, jouez à des jeux.

 

Enjeux plus larges : ce que cela dit du débat IA / confiance dans l’industrie

Impact sur la réputation et la relation éditeur‑communauté

L’affaire POSTAL: Bullet Paradise dépasse le simple cadre d’un jeu annulé. Elle illustre de façon brutale à quel point la confiance entre un éditeur et sa communauté est fragile, et comment une mauvaise gestion de crise peut avoir des conséquences irréversibles.

Running With Scissors, pourtant connu pour son image de trublion irrévérencieux, a ici franchi une ligne rouge : insulter sa propre base de joueurs, et nier les accusations tout en publiant des excuses bancales. Résultat : sa réputation a été ébranlée, et même les fans les plus loyaux ont commencé à remettre en cause ses décisions.

L’éditeur a voulu faire passer l’idée qu’il était victime de son propre partenaire, mais les captures de discussions sur Discord et les déclarations publiques ont contribué à un effet « Streisand inversé » : plus ils tentaient de contrôler la narration, plus celle-ci leur échappait.

Dans une industrie où les communautés jouent un rôle central — par leurs retours, leurs critiques mais aussi leur pouvoir viral —, une communication désastreuse peut anéantir plusieurs années de travail en une semaine. Et c’est exactement ce qui s’est produit.

Problématiques autour de l’utilisation de l’IA dans le développement de jeux

L’histoire de Goonswarm et Bullet Paradise touche aussi un nerf technologique et éthique : l’utilisation croissante d’intelligences artificielles génératives dans la création de jeux vidéo.

Qu’il s’agisse de générer des textures, des visuels ou des dialogues, les IA posent de nombreuses questions : qualité artistique, respect du travail humain, transparence des processus, et éthique dans l’usage de ces outils. Dans un contexte où les artistes craignent déjà pour leur place face à l’automatisation, la moindre suspicion peut entraîner une réaction en chaîne.

Ce que montre l’affaire POSTAL: Bullet Paradise, c’est que le doute suffit à déclencher une tempête. Même si le studio affirme ne pas avoir utilisé d’IA, la simple perception que ce pourrait être le cas a suffi à délégitimer l’ensemble du projet.

À l’avenir, il est probable que les studios devront être encore plus transparents dans leurs méthodes de travail, voire certifier l’origine de leurs assets, pour ne pas subir le même sort que Goonswarm. Et peut-être qu’un nouveau rôle va émerger dans l’industrie : celui de « vérificateur de pipelines », pour garantir une production 100 % humaine… ou totalement assumée comme hybride.

 


En quelques mots

L’annulation de POSTAL: Bullet Paradise et la fermeture soudaine de Goonswarm Games ne sont pas qu’un fait divers de plus dans l’industrie du jeu vidéo. C’est un symptôme puissant des tensions actuelles entre innovation technologique, attentes des joueurs et communication des studios. Un projet prometteur a été désintégré en un éclair, non par une mauvaise jouabilité ou un manque d’ambition, mais à cause d’un climat de méfiance aiguë et d’une gestion de crise totalement défaillante.

Cette affaire révèle combien l’image de marque, la transparence des pratiques et le respect de la communauté sont devenus cruciaux. Dans un monde où les outils IA évoluent plus vite que les normes éthiques qui les entourent, la ligne entre créativité assistée et trahison artistique devient de plus en plus floue.

Pour Running With Scissors, l’épisode laisse des traces. Pour Goonswarm Games, il s’agit d’une fin abrupte et brutale. Et pour l’ensemble de l’industrie, c’est un rappel : l’IA est un outil puissant, mais mal employée — ou mal perçue —, elle peut faire s’effondrer tout un projet.

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