
Les adaptations de jeux vidéo au cinéma sont devenues monnaie courante, oscillant entre triomphes critiques et échecs cuisants. Avec Until Dawn, Sony et ses partenaires espéraient surfer sur la vague du succès de ce jeu culte sorti en 2015 sur PlayStation 4. Pourtant, au-delà des critiques mitigées sur la qualité du film, une polémique inattendue a éclaté: les créateurs originaux du jeu n'ont tout simplement pas été crédités au générique.
Une situation qui relance le débat sensible sur la reconnaissance des développeurs dans les œuvres dérivées, et qui met en lumière certaines pratiques peu reluisantes de l'industrie du divertissement.
Le film Until Dawn: une adaptation attendue mais mitigée
Les attentes autour du film
Depuis son annonce, le film Until Dawn avait de quoi séduire: un thriller horrifique basé sur un jeu vidéo reconnu pour son atmosphère angoissante, ses choix moraux cornéliens et son casting impressionnant. Les fans attendaient une retranscription fidèle de l'expérience vidéoludique, avec l'espoir que l'immersion et la tension du jeu soient parfaitement adaptées sur grand écran.
Le marketing du film promettait d’ailleurs une « expérience viscérale », respectueuse de l’univers du jeu original. Sony Interactive Entertainment avait mis en avant l'authenticité du projet, surfant sur la nostalgie des joueurs qui avaient frissonné devant les aventures de Sam, Mike et des autres protagonistes pris au piège dans une montagne isolée.
"L'idée était de faire revivre l'esprit du jeu tout en explorant de nouvelles pistes narratives", avait déclaré un producteur en amont de la sortie.
Les premiers retours critiques
Cependant, une fois arrivé dans les salles cette semaine, Until Dawn n'a pas tout à fait rencontré l'enthousiasme espéré. Avec une moyenne de 51 % sur Rotten Tomatoes, le film s'inscrit dans cette tradition des adaptations de jeux vidéo qui peinent à convaincre à la fois les fans et les critiques.
Parmi les reproches les plus courants: un scénario jugé prévisible, un manque de tension véritable et une exploitation superficielle des thèmes du jeu original. Certains saluent malgré tout la performance des acteurs et la fidélité de certaines séquences, mais dans l'ensemble, le film ne parvient pas à recréer l'intensité psychologique qui avait fait la renommée du jeu.
L'absence choquante: les créateurs du jeu oubliés
Un oubli ou une décision consciente ?
Au-delà des critiques mitigées sur le film lui-même, c'est une controverse bien plus amère qui a éclaté: l'absence totale de mention des créateurs originaux du jeu Until Dawn au générique du long-métrage.
Alors que le film est "fièrement" présenté comme étant basé sur le jeu vidéo de Sony, nulle part n'apparaissent les noms des développeurs, scénaristes ou directeurs qui ont façonné l'expérience d'origine.
Cette omission pose une question troublante: s'agit-il d'une négligence involontaire ou d'une volonté délibérée de minimiser la contribution des créateurs du jeu ?
Dans une industrie où la reconnaissance du travail créatif est déjà souvent compliquée, cet acte soulève un malaise profond, particulièrement dans un contexte où des adaptations comme The Last of Us ont justement mis en avant leurs auteurs vidéoludiques.
"Oublier de créditer les créateurs originaux, c'est comme oublier de remercier l'auteur d'un livre dans son adaptation cinématographique," soulignait récemment un analyste de l'industrie sur Twitter.
La déclaration du directeur narratif
L’affaire a pris une dimension plus personnelle lorsqu’un ancien directeur narratif de Sony Interactive Entertainment a partagé son indignation sur LinkedIn.
Celui-ci rappelle qu'à l'époque de son emploi chez Sony, il avait été clairement informé que, en tant que salarié, il n'aurait aucun droit d'auteur, aucune reconnaissance publique, et aucun contrôle sur son œuvre.
Ce professionnel, bien qu'anonyme dans certaines sources, dénonce une politique à géométrie variable:
Alors que certains créateurs comme Neil Druckmann (co-créateur de The Last of Us) sont mis en avant, d'autres sont tout bonnement oubliés.
Il ajoute, amèrement:
"Vous êtes contents de tirer profit de ce jeu iconique, mais vous êtes incapables de citer ceux qui l'ont créé."
Ce cri du cœur souligne une réalité dérangeante dans l'univers des adaptations: sans règles strictes imposant la reconnaissance des développeurs, l'oubli devient presque institutionnalisé.
Graham Reznick monte au créneau
Une pétition pour la reconnaissance
Face à cette situation, Graham Reznick, l'un des scénaristes principaux du jeu Until Dawn sorti en 2015, a décidé de ne pas rester silencieux. Choqué par l'absence de reconnaissance des créateurs du jeu dans le film, il a lancé une pétition publique pour exiger que Sony crédite les développeurs originaux au générique de fin.
Cette initiative a rapidement rassemblé une vague de soutien, notamment de la part des fans du jeu, des professionnels du secteur et de nombreux défenseurs des droits des créateurs.
La pétition souligne l'importance de reconnaître la contribution artistique de ceux qui ont donné vie à un univers entier, et dénonce le traitement injuste réservé aux employés créatifs dans de grandes corporations.
"Nous ne demandons pas la lune. Nous demandons simplement que le travail des créateurs soit reconnu là où il est dû," explique Graham Reznick dans son communiqué d'accompagnement.
Cette action symbolique remet la lumière sur une problématique plus large: les droits d'auteur et la reconnaissance dans l'industrie du jeu vidéo, souvent relégués au second plan au profit d'une vision strictement commerciale.
Le débat autour des droits des créateurs
La pétition de Reznick ne se limite pas à une simple demande de correction ; elle relance un débat fondamental:
À qui appartient réellement une œuvre créée dans le cadre d'un contrat salarial ?
Dans la plupart des contrats d'embauche classiques de l'industrie du jeu vidéo, toute œuvre réalisée par un employé appartient légalement à l'entreprise, non au créateur individuel. Cela signifie que même les grandes idées, les personnages iconiques ou les univers entiers deviennent la propriété exclusive de la compagnie.
Cependant, de plus en plus de voix s'élèvent pour remettre en question cette logique, surtout à une époque où le statut des auteurs de jeux vidéo commence à être davantage valorisé, notamment à travers des cérémonies de récompenses, des interviews et des crédits de plus en plus complets.
Le cas Until Dawn pourrait ainsi devenir un exemple emblématique dans la lutte pour la reconnaissance des créateurs dans toutes les formes d’adaptations médiatiques.
Les pratiques de l'industrie face aux droits des développeurs
Le cas spécifique des employés en interne
Dans l'univers du développement de jeux vidéo, il est courant que les employés cèdent tous leurs droits de propriété intellectuelle à leur employeur dès la signature du contrat. Cela signifie que, légalement, la création appartient à l'entreprise, et non aux individus qui l'ont imaginée et réalisée.
Ce modèle, appelé « work for hire » (travail à la commande), est extrêmement répandu, notamment chez les grands éditeurs comme Sony Interactive Entertainment. En pratique, il place les créateurs dans une situation délicate: même lorsqu'ils sont les architectes de projets à succès, leur contribution peut être totalement effacée dans les œuvres dérivées, comme les films ou les séries télévisées.
Dans le cas d'Until Dawn, cela semble malheureusement être exactement ce qui s'est produit. Le jeu est présenté comme une propriété de Sony, et non comme le fruit du travail d'individus tels que Graham Reznick, Larry Fessenden, et d'autres membres clés de l'équipe.
"Quand vous êtes salarié, ce que vous créez ne vous appartient plus," explique un avocat spécialisé en propriété intellectuelle dans le domaine du jeu vidéo.
Ce système, bien qu'accepté par la loi, est aujourd'hui de plus en plus critiqué, notamment par les défenseurs des droits des créateurs qui militent pour une meilleure reconnaissance dans les crédits des adaptations.
Comparaison avec d'autres adaptations célèbres
L'oubli des créateurs originaux dans Until Dawn est d'autant plus choquant qu'il existe des contre-exemples récents où les développeurs ont été mis en avant.
Par exemple, pour la série The Last of Us produite par HBO, Neil Druckmann a non seulement été crédité, mais il a également participé activement à la production en tant que scénariste et producteur exécutif.
Cette approche plus respectueuse démontre qu'il est tout à fait possible, même dans un cadre légal complexe, de rendre hommage aux créateurs originaux.
D'autres œuvres comme Cyberpunk: Edgerunners (inspirée du jeu Cyberpunk 2077) ont également fait l'effort de mentionner CD Projekt Red et les principaux membres de l'équipe originale.
Cette comparaison met en lumière un point clé: le crédit n'est pas uniquement une question de droit, c'est aussi un choix éditorial et éthique.
Un choix qui, dans le cas d'Until Dawn, a laissé un goût amer aussi bien chez les créateurs que chez les fans.
En quelques mots
L'adaptation cinématographique de Until Dawn aurait pu être l'occasion de célébrer une œuvre emblématique du jeu vidéo moderne et de rendre hommage à ceux qui l'ont façonnée. Mais en omettant de créditer les créateurs du jeu original, le film a soulevé une vague d'indignation et mis en lumière des pratiques encore trop courantes dans l'industrie du divertissement.
Graham Reznick et d'autres membres de l'équipe initiale ont aujourd'hui entamé un combat pour faire reconnaître leur travail, non seulement par fierté personnelle, mais aussi pour défendre un principe fondamental: chaque créateur mérite d'être reconnu pour son œuvre.
Au-delà du cas Until Dawn, cette polémique interroge plus largement la façon dont les industries culturelles traitent leurs talents, et souligne l'importance croissante de revendiquer des droits à une époque où les jeux vidéo inspirent de plus en plus d'adaptations dans d'autres médias.
L'avenir dira si cette bataille portera ses fruits. Mais une chose est sûre: les créateurs, qu'ils soient salariés ou indépendants, doivent continuer à se battre pour la reconnaissance qu'ils méritent.