Krafton investit dans l’IA et propose à ses salariés de démissionner

AuteurArticle écrit par Vivien Reumont
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date de publication17/11/2025

Krafton, l’éditeur sud-coréen bien connu pour des titres comme PUBG: Battlegrounds, Subnautica ou plus récemment Hi-Fi RUSH, vient de faire une annonce aussi ambitieuse que déstabilisante. Dans un virage stratégique marqué par une volonté de se positionner à la pointe de l’innovation technologique, l’entreprise investit massivement dans l’intelligence artificielle générative. Mais ce tournant s’accompagne d’un message inattendu adressé à ses salariés : vous pouvez partir, et on vous paiera pour ça.

Loin d’une vague de licenciements brutaux, Krafton introduit une politique volontaire de départs indemnisés, dans un climat de réorganisation interne. Une manière selon elle de “concevoir de manière proactive la croissance du personnel”. Ce repositionnement soulève des questions fondamentales : l’IA peut-elle réellement justifier un tel bouleversement humain et organisationnel ? Quels secteurs sont concernés ? Et surtout, quel avenir pour les développeurs et créateurs dans un monde où la machine occupe de plus en plus d’espace ?

 

Le virage “IA‑first” de Krafton

Contexte et motivations stratégiques

Depuis plusieurs années, les grandes entreprises technologiques, y compris dans le jeu vidéo, cherchent à intégrer l'intelligence artificielle dans leur chaîne de production. Krafton ne fait pas exception, mais son approche est particulièrement radicale. En octobre dernier, la société a officiellement annoncé une réorganisation profonde de sa stratégie, désormais centrée sur l'IA générative. Un changement de cap motivé par une volonté claire : optimiser les coûts, automatiser les processus internes, et gagner en efficacité créative.

Cette décision s’inscrit dans un contexte global où la pression concurrentielle est forte, et où les studios cherchent à se différencier autant sur le plan technologique que créatif. Plutôt que de simplement incorporer des outils d’IA dans certains processus, Krafton adopte une posture beaucoup plus ambitieuse : l’IA devient une priorité centrale de son développement. En d’autres termes, la firme ne veut pas simplement suivre la tendance, elle souhaite la définir.

« L’intelligence artificielle n’est pas un simple outil. C’est une nouvelle infrastructure sur laquelle bâtir l’avenir du divertissement interactif. » — propos rapportés d’un cadre de Krafton

Montants d’investissement et domaines ciblés

Krafton a confirmé vouloir injecter des sommes considérables dans cette nouvelle stratégie, bien que les montants exacts n’aient pas tous été rendus publics. Ce que l’on sait, c’est que les investissements se concentrent sur trois piliers principaux :

  • La Recherche & Développement, pour créer des solutions propriétaires en IA, susceptibles de réduire les délais de production ou d’augmenter la qualité des expériences utilisateurs.
  • Les Ressources Humaines, avec une volonté d’optimiser les processus de recrutement, de gestion des talents et peut-être, à terme, d’automatiser certaines évaluations de performance.
  • La création de contenu, notamment en intégrant l’IA dans la génération de textures, d’environnements, de scripts narratifs, voire de dialogues pour PNJ.

Ces ambitions ne sont pas de simples promesses. Krafton a déjà gelé les embauches dans les départements non liés à l’IA ou au développement de nouvelles propriétés intellectuelles, ce qui montre à quel point la réorientation est prise au sérieux.

 

Le programme de démission volontaire

Fonctionnement et barème d’indemnités

Dans le sillage de sa stratégie IA, Krafton a introduit un dispositif inédit dans l’industrie du jeu vidéo : un programme de départ volontaire, présenté comme une “opportunité de transition” pour les employés. Concrètement, chaque salarié a la possibilité de quitter l’entreprise en échange d’une indemnité généreuse, proportionnelle à son ancienneté.

Voici les paliers d’indemnisation mis en place :

  • Un an ou moins : 6 mois de salaire
  • Deux ans ou moins : 12 mois de salaire
  • Cinq ans ou moins : 18 mois de salaire
  • Huit ans ou moins : 24 mois de salaire
  • Onze ans ou moins : 30 mois de salaire
  • Plus de onze ans : 36 mois de salaire

Ce système incitatif, que certains qualifient de “plan de départ déguisé”, vise à fluidifier les effectifs sans recourir à des licenciements massifs. Il s’agit de faire de la place pour les profils compatibles avec la nouvelle orientation de Krafton, tout en laissant une porte de sortie financièrement attractive à ceux qui ne s’y retrouvent plus.

Comment la société présente ce dispositif (volontaire vs. licenciement)

Krafton insiste fortement sur le caractère volontaire de cette démarche. Il ne s’agit pas, selon la société, de purger les effectifs de manière brutale, mais de “concevoir de manière proactive la croissance du personnel”. Cette formule, bien que quelque peu corporate, illustre la volonté de contrôler la transformation de l’entreprise sans entrer dans un cycle négatif de licenciements imposés.

« Nous ne forçons personne à partir. Nous proposons un choix stratégique aux talents qui souhaitent redéfinir leur avenir professionnel. » — déclaration de Krafton

En parallèle, le gel des recrutements dans tous les secteurs qui ne touchent pas à l’IA ou à la création de nouvelles licences originales démontre une volonté de restructurer l’entreprise en profondeur. Cela confirme également que les départs volontaires ne seront probablement pas remplacés à court terme, accentuant ainsi le virage vers une entreprise plus technocentrée et plus sélective dans ses compétences internes.

 

Impacts internes et réactions

Effets sur les salariés et sur l’organisation

Le plan de départ volontaire a déclenché une onde de choc en interne. Si certains y voient une opportunité de quitter l’entreprise avec un parachute financier non négligeable, beaucoup s’inquiètent des répercussions à long terme. En effet, la transition vers un modèle basé sur l’intelligence artificielle implique une transformation des profils recherchés, mais aussi une remise en question du rôle de certains métiers traditionnels du jeu vidéo.

Les équipes artistiques, les scénaristes et les départements QA (assurance qualité) sont parmi les plus préoccupés. Le recours croissant à l’IA dans ces domaines suscite la crainte d’une obsolescence progressive de certaines compétences humaines. Certains employés redoutent un avenir où la créativité serait partiellement ou totalement déléguée à des algorithmes.

De plus, cette réorganisation remet en cause la culture d’entreprise. Le sentiment d’appartenance est fragilisé, et de nombreux salariés témoignent d’un climat d’incertitude. Le message implicite est clair : “Adaptez-vous à l’IA ou partez”. Cela pourrait entraîner une perte de talents expérimentés qui ne se reconnaissent plus dans cette nouvelle vision.

Réactions externes : observateurs, médias, marché

L’annonce de Krafton a suscité une pluie de réactions dans la presse spécialisée et les milieux économiques. Certains analystes saluent une décision audacieuse et visionnaire, anticipant une meilleure compétitivité à long terme. L’investissement dans l’IA est perçu comme une arme stratégique pour se démarquer, surtout dans un marché du jeu vidéo saturé et très exigeant en innovation.

Mais la démarche de Krafton soulève aussi des critiques. Plusieurs observateurs estiment que ce “nettoyage en douceur” ressemble davantage à une restructuration déguisée, sans avoir à assumer les conséquences négatives d’un plan social traditionnel. Il est également reproché à l’entreprise de vouloir sacrifier une part importante de sa culture créative au profit d’une logique d’optimisation froide.

« L’IA est un outil puissant, mais elle ne remplacera jamais le cœur humain qui fait la richesse des jeux vidéo. » — commentaire d’un ancien développeur de Krafton sur les réseaux sociaux

Enfin, côté boursier, la stratégie semble pour l’instant bien accueillie. Les actions de Krafton ont connu une légère hausse après l’annonce, signe que les investisseurs croient en ce repositionnement vers une entreprise tech “moderne” et rentable.

 

Enjeux pour l’industrie du jeu vidéo

L’IA dans le développement et les ressources humaines de jeux vidéo

L’introduction de l’intelligence artificielle dans l’univers du jeu vidéo n’est pas nouvelle, mais elle connaît aujourd’hui une accélération spectaculaire. De l’animation des PNJ à la génération procédurale de mondes, en passant par l’assistance à la création artistique ou narrative, l’IA s’insère progressivement à toutes les étapes de la production. Le cas Krafton illustre une tendance plus large : les éditeurs cherchent à automatiser pour mieux itérer, produire plus vite et, potentiellement, avec moins de ressources humaines.

Dans le domaine des ressources humaines, l’IA est utilisée pour évaluer des CV, détecter des tendances de performance, et parfois même prédire le "fit" culturel d’un candidat. Ces pratiques, bien que séduisantes pour les dirigeants, interrogent sur la déshumanisation progressive des processus de gestion des talents.

L’industrie est donc face à un tournant : soit elle parvient à équilibrer automatisation et créativité humaine, soit elle risque de dénaturer l’essence même de ce qui rend un jeu vidéo unique — son âme, son caractère imprévisible, et sa capacité à raconter des histoires profondément humaines.

Risques et opportunités pour les éditeurs et les salariés

Pour les éditeurs, les bénéfices sont évidents : réduction des coûts, cycles de développement plus courts, adaptation rapide aux tendances. L’IA peut générer des prototypes jouables en quelques jours, tester des centaines d’itérations sans effort humain, et offrir une expérience utilisateur plus personnalisée. Krafton l’a bien compris et veut être pionnier dans ce domaine.

Mais pour les salariés, les conséquences sont plus ambivalentes. Si certains métiers, comme les ingénieurs en IA ou les designers techniques, sont clairement valorisés, d’autres voient leur rôle se marginaliser. Les départs volontaires chez Krafton peuvent être interprétés comme une manière d’éviter des conflits sociaux, mais ils traduisent aussi une fracture entre deux visions du jeu vidéo : celle du studio technocentré, et celle du studio centré sur l’humain et l’émotion.

« Le risque, c’est que demain, les jeux soient conçus par des algorithmes pour plaire à d’autres algorithmes. » — critique lue dans un article du Korea Times

La transition ne sera donc pas sans douleur. Il s’agira pour l’ensemble du secteur de poser des limites claires sur l’usage de l’IA, et surtout de redéfinir la place de l’humain dans un pipeline de développement de plus en plus automatisé.

 

Perspectives à venir

Que cherche à accomplir Krafton à long terme ?

Krafton ne se contente pas d’intégrer l’IA à ses outils de production : la société entend refonder son identité même autour de cette technologie. À long terme, l’objectif semble clair : devenir une entreprise de divertissement numérique entièrement pilotée par les données et les algorithmes, capable de produire des expériences interactives toujours plus personnalisées, tout en réduisant sa dépendance à la main-d'œuvre humaine.

Ce positionnement pourrait transformer Krafton en une sorte de laboratoire technologique du jeu vidéo, comparable à ce que Netflix a été pour la data dans le streaming. L’éditeur veut créer un écosystème où les idées, les tests, les itérations, et même certains éléments créatifs émergent d’une boucle automatisée assistée par IA. Cela va bien au-delà de la simple aide à la conception : c’est une transformation de fond dans la manière de penser le jeu vidéo.

En recentrant ses effectifs sur l’IA et la création de nouvelles propriétés intellectuelles, Krafton cherche aussi à renforcer sa résilience sur un marché qui évolue vite. Cela lui permettrait d’être moins tributaire du succès ou de l’échec d’une seule licence phare, comme PUBG, et de diversifier son portefeuille avec des projets générés plus rapidement et de manière plus ciblée.

Scénarios possibles pour les salariés restants et pour le marché

Pour les salariés qui restent, le message est limpide : il va falloir évoluer avec l’entreprise. Ceux qui maîtrisent l’IA, la programmation de systèmes adaptatifs, ou le design de gameplay procédural seront clairement avantagés. Les autres devront probablement se reconvertir, se spécialiser davantage, ou accepter un rôle plus secondaire dans les processus créatifs.

Dans un avenir proche, on pourrait voir émerger chez Krafton des équipes hybrides composées de créateurs humains et d’assistants IA, travaillant de concert pour produire du contenu. Mais ce modèle hybride ne sera pas sans tension : comment équilibrer la vision humaine d’un jeu avec les suggestions statistiques d’un algorithme ? Qui a le dernier mot dans les décisions de design ?

À l’échelle du marché, Krafton pourrait ouvrir la voie à une nouvelle génération de studios IA-first. D’autres éditeurs observeront de près les résultats de cette stratégie : si elle permet d’augmenter la rentabilité et de lancer des jeux innovants à moindre coût, elle pourrait devenir un modèle à suivre. Mais si elle entraîne une perte de qualité, une désaffection des joueurs, ou une crise interne prolongée, elle servira de contre-exemple.

 


En quelques mots

Le choix de Krafton d’embrasser l’intelligence artificielle comme pilier de son avenir stratégique est aussi audacieux que clivant. D’un côté, l’entreprise se positionne comme un acteur technologique avant-gardiste dans un secteur en mutation rapide. De l’autre, elle déclenche une onde de choc interne en incitant ses employés à quitter volontairement le navire, tout en réorientant drastiquement ses priorités humaines et créatives.

Ce mouvement n’est pas isolé. Il reflète un virage plus large de l’industrie vers l’optimisation technologique et l'automatisation, au risque de reléguer l'humain au second plan. Krafton avance masqué sous les atours de la croissance proactive, mais sa stratégie pose une question essentielle : dans un jeu vidéo conçu par des IA, où se cache encore la main du créateur ?

Le futur que dessine Krafton fascine autant qu’il inquiète. Ce sera peut-être un terrain fertile pour de nouvelles formes de créativité… ou le début d’une standardisation algorithmique du divertissement interactif. L’issue dépendra non seulement des résultats financiers, mais surtout de la capacité du studio à faire coexister l’innovation technologique et l’inspiration humaine.

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