Le 14 octobre 2025, une annonce a secoué les coulisses de l’industrie vidéoludique: Marc-Alexis Côté, figure emblématique d’Ubisoft et architecte de la franchise Assassin’s Creed, quittait officiellement l’entreprise après plus de deux décennies de service. Selon Ubisoft, il s’agissait d’un départ volontaire, « pour explorer de nouveaux horizons ». Une version propre, bien polie, comme l’industrie sait en produire.
Mais voilà que quelques jours plus tard, sur LinkedIn, le principal intéressé prend la parole — et change radicalement la donne. Non, il n’a pas « choisi de partir ». Selon ses mots, il est resté à son poste « jusqu’à ce qu’Ubisoft [lui] demande de se retirer ». Une révélation qui ouvre un tout nouveau chapitre, bien moins lisse, dans l’histoire récente d’Ubisoft.
Cet article revient sur les zones d’ombre de ce départ inattendu, analyse ce que cela signifie pour la franchise Assassin’s Creed, mais aussi pour l’écosystème Ubisoft et, plus largement, pour l’industrie du jeu vidéo en pleine mutation.
Le parcours de Marc‑Alexis Côté au sein d’Assassin’s Creed
Ses débuts chez Ubisoft et son ascension
Arrivé chez Ubisoft en 2004, Marc-Alexis Côté a commencé comme game designer sur Tom Clancy’s Splinter Cell: Chaos Theory. Rapidement repéré pour sa vision et sa capacité à gérer des projets d’envergure, il gravit les échelons au sein du studio québécois. Il est l’un des architectes de Assassin’s Creed Brotherhood (2010) en tant que producer, et contribue fortement au succès critique et commercial du jeu.
Au fil des années, son rôle évolue: de producteur à directeur créatif, puis à des fonctions de plus en plus stratégiques. Il devient une figure centrale de la maison Ubisoft Québec, notamment lors du développement de Assassin’s Creed Syndicate (2015), qui marque le passage du flambeau à cette antenne canadienne, alors longtemps dans l’ombre de Montréal.
Son rôle à la tête de la franchise depuis mars 2022
En mars 2022, il est nommé directeur exécutif de la franchise Assassin’s Creed, un poste clé destiné à donner une ligne claire à une saga en constante expansion. À ce titre, il supervise les projets majeurs comme Assassin’s Creed Mirage, Codename RED (basé au Japon féodal), et Codename HEXE, plus mystérieux et atmosphérique.
Côté devient alors le visage public de la série, souvent interviewé, omniprésent lors des événements Ubisoft Forward et autres présentations majeures. À la manière d’un showrunner de série télévisée, il assure la cohérence narrative, artistique et commerciale de l’univers Assassin’s Creed, tout en pilotant une stratégie de diversification avec des projets mobiles, VR et même une série animée.
« J’ai vu mon rôle comme celui d’un capitaine de vaisseau, un peu à la Star Trek: je ne pars que quand tout le monde est en sécurité. » – Marc-Alexis Côté
Son départ précipité, dans ce contexte, pose donc question. Pourquoi écarter un dirigeant qui semblait incarner l’avenir même de la licence ? La suite nous éclaire.
La version d’Ubisoft et celle de Côté – un contraste marquant
Le communiqué d’Ubisoft: « il part pour poursuivre de nouveaux horizons »
Lors de l’annonce officielle, Ubisoft s’est contenté d’un message de remerciement, saluant « la passion et le dévouement » de Marc-Alexis Côté. L’éditeur évoque un départ volontaire, une décision personnelle après 21 années passées à bâtir des mondes immersifs. Le ton est chaleureux, presque cérémonial. Rien, absolument rien, ne laisse entendre une quelconque tension.
« Marc-Alexis Côté a été un pilier de notre développement créatif. Nous lui souhaitons le meilleur dans ses futurs projets. » – Communiqué officiel d’Ubisoft
Un message typique des départs dans les grandes entreprises, où l’on gomme les aspérités pour préserver l’image publique.
Le post LinkedIn de Côté: « Je n’ai pas quitté: on m’a demandé de me retirer »
Mais quelques jours plus tard, le masque tombe. Dans un post LinkedIn sincère et chargé d’émotion, Marc-Alexis Côté donne sa propre version. Il commence par remercier collègues, amis et fans, puis il clarifie:
« The truth is simple: I did not make that choice. Ubisoft decided to transfer the leadership of the Assassin’s Creed franchise to someone closer to its new organizational structure. »
Plus loin, il insiste:
« I did not walk away. I stayed at my post until Ubisoft asked me to step aside. »
Ces phrases, limpides, soulignent une fracture profonde entre l’homme et l’entreprise. Ce n’est pas un départ choisi, mais une réorientation forcée. Ubisoft aurait proposé un autre poste, mais sans les responsabilités ni la continuité liées à Assassin’s Creed. Pour lui, cela revenait à abandonner un travail de longue haleine — ce qu’il a refusé de faire dans l’ombre.
Ce contraste entre la version édulcorée d’Ubisoft et le témoignage de Côté révèle une gestion de communication d’entreprise bien rôdée... mais aussi la complexité des décisions internes dans un géant du jeu vidéo.
Le contexte stratégique : création de Vantage Studios et recentrage des franchises
Qu’est‑ce que Vantage Studios ?
L’un des éléments clés du départ de Marc‑Alexis Côté réside dans un nom qui revient souvent en interne chez Ubisoft: Vantage Studios. Lancée en 2023, cette nouvelle structure est une entité interne cofinancée par Tencent, géant chinois de la tech, avec l’ambition de moderniser l’organisation des franchises piliers d’Ubisoft. Son objectif: centraliser les forces créatives autour de Far Cry, Rainbow Six et Assassin’s Creed, en leur apportant plus de synergies et une gouvernance plus resserrée.
Ubisoft a expliqué que cette initiative visait à mieux faire face à la complexité croissante du développement AAA, à la concurrence accrue de studios plus agiles, et aux attentes toujours plus fortes des joueurs. Cela implique une refonte de la hiérarchie, des équipes de production, et une nouvelle façon d’envisager la direction artistique et narrative.
Mais derrière ce discours corporate, un autre message apparaît: une volonté de changer les visages à la tête des franchises, pour les aligner sur cette nouvelle vision managériale. Et c’est précisément dans ce contexte que s’inscrit l’éviction de Marc-Alexis Côté.
Pourquoi ce changement structurel impacte Assassin’s Creed et les grands studios
Depuis Assassin’s Creed Origins, Ubisoft a entamé une transformation profonde de sa série phare, passant de l’action-aventure à un modèle hybride RPG-monde ouvert. La structure actuelle, très éclatée entre plusieurs studios à travers le monde, rend la coordination complexe. La création de Vantage Studios cherche à apporter une vision unifiée, notamment en rapprochant les décisions stratégiques du cœur de l'organisation.
Dans cette réorganisation, le leadership de Côté a été jugé incompatible avec la nouvelle structure, non pas sur le plan créatif, mais sur le plan politique et organisationnel. Il n'était, selon ses mots, « pas suffisamment proche de cette nouvelle configuration pour poursuivre avec le même mandat ».
« A different position was mentioned, but it did not carry the same scope, mandate, or continuity with the work I had been entrusted with in recent years. » – Marc-Alexis Côté
On comprend alors que le changement n’est pas tant lié à une rupture de vision qu’à un jeu de pouvoir interne. Ubisoft, en redéfinissant son organigramme, cherche à placer des profils plus proches de Tencent ou plus flexibles à la nouvelle ligne directrice. Cela soulève des questions sur l’autonomie créative des studios et la place accordée à l’héritage d’une franchise.
Les enjeux pour la franchise Assassin’s Creed
Confiance des joueurs et légitimité créative
Le départ de Marc‑Alexis Côté ne constitue pas seulement un changement de personnel en coulisse: c’est un signal fort envoyé aux millions de fans d’Assassin’s Creed. En tant que visage de la série ces dernières années, Côté incarnait une forme de continuité, de savoir-faire et de respect de l’ADN de la franchise, tout en la modernisant. Son travail sur Mirage, pensé comme un retour aux sources, avait été salué pour sa capacité à mêler tradition et innovation.
Avec sa mise à l’écart, les fans peuvent légitimement se demander: qui tient désormais la barre ? Et surtout, dans quelle direction la franchise s’oriente-t-elle ? Les jeux à venir comme Codename RED (Japon) ou Codename HEXE (thématique plus ésotérique) doivent désormais prouver que la vision initiale sera respectée, même sans Côté à la manœuvre.
Cela soulève aussi une question plus large: la fidélité des fans repose-t-elle sur une marque ou sur les individus derrière elle ? Ubisoft semble parier sur la première option, mais l’histoire du jeu vidéo regorge d’exemples montrant que les départs de figures clés peuvent éroder la confiance des communautés.
Quel avenir pour la série sans l’un de ses piliers ?
Marc-Alexis Côté n’était pas seulement un gestionnaire: il comprenait Assassin’s Creed dans sa complexité historique, culturelle et ludique. Avec son départ, Ubisoft perd un gardien de la cohérence, ce qui fait craindre une dilution de l'identité de la série à travers les projets en développement.
De plus, la série entre dans une nouvelle ère avec Assassin’s Creed Infinity, une plateforme centralisée censée regrouper tous les futurs titres. Ce projet, ambitieux mais encore flou, nécessite un capitaine expérimenté pour assurer sa viabilité à long terme. Sans Côté, le risque est que la vision d'ensemble devienne fragmentée, dominée par des impératifs économiques plutôt que créatifs.
« Ce qui faisait la force d’Assassin’s Creed, c’était l’équilibre entre récit, immersion historique et innovation. Le départ de Côté crée un déséquilibre dont on ne mesure pas encore les conséquences. » – Analyste anonyme de l’industrie (propos fictif mais représentatif)
En somme, l’avenir de la franchise dépendra de la capacité d’Ubisoft à maintenir une ligne éditoriale cohérente… ou à réinventer entièrement sa formule sans trahir son essence.
Le bilan et les enseignements
Ce que cette affaire nous dit sur l’industrie du jeu vidéo
Le départ de Marc-Alexis Côté n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans une tendance croissante d’instabilité au sein des grands studios, où les réorganisations internes, les fusions et les changements de stratégie deviennent monnaie courante. De plus en plus souvent, des figures emblématiques sont remerciées ou marginalisées, non pour manque de résultats, mais parce qu’elles ne s’intègrent pas dans la nouvelle mécanique d’entreprise.
Ce cas illustre une réalité parfois taboue de l’industrie: la créativité ne pèse pas toujours lourd face aux réalités économiques et organisationnelles. Ubisoft, en restructurant autour de Vantage Studios, montre qu’elle privilégie l’alignement stratégique sur les profils « historiques », même s’ils ont façonné ses plus grands succès.
Pour Ubisoft: risques et opportunités
D’un point de vue purement opérationnel, Ubisoft mise gros. En écartant un pilier de la franchise Assassin’s Creed, l’éditeur s’offre une marge de manœuvre plus souple, capable de coller à ses nouveaux objectifs. La centralisation autour de Vantage Studios peut apporter plus d’efficacité, une meilleure communication entre les équipes, et une vision plus unifiée.
Mais ce pari n’est pas sans risque. Changer de capitaine en pleine navigation peut désorienter l’équipage — ici, les équipes de développement, mais aussi les joueurs. La transition devra donc être finement gérée pour éviter une perte de cohérence créative, ou pire, un désengagement progressif du public.
Pour les créateurs: être vigilant sur les changements de structure
Le cas de Côté envoie également un message aux autres créateurs de l’industrie: la loyauté ne garantit pas la sécurité. Même après 20 ans de bons et loyaux services, une figure centrale peut être écartée si la structure évolue. Cela invite à réfléchir à la manière dont les talents peuvent préserver leur influence, leur liberté créative et leur place dans une industrie où les décisions sont de plus en plus guidées par la logique des actionnaires.
« J’ai fait mon travail jusqu’au bout, avec la conviction d’accompagner chaque membre de l’équipe jusqu’à bon port. » – Marc-Alexis Côté
Ce témoignage résonne comme un avertissement… mais aussi comme un hommage à ceux qui, dans l’ombre, façonnent les jeux qui nous marquent.
En quelques mots
Le départ de Marc-Alexis Côté ne marque pas seulement la fin d’un chapitre chez Ubisoft — il révèle aussi les dynamiques profondes qui façonnent aujourd’hui l’industrie du jeu vidéo. Dans un secteur où les créateurs visionnaires doivent composer avec des logiques économiques de plus en plus dominantes, son histoire fait figure de cas d’école.
À travers son message sincère, Côté rappelle que derrière les blockbusters vidéoludiques se cachent des hommes et des femmes investis, passionnés… et parfois mis sur la touche sans fracas. Ubisoft, de son côté, poursuit sa transformation, misant sur l’avenir avec une nouvelle structure, de nouveaux visages, et une stratégie qui veut harmoniser les grandes licences sous une même bannière.
Reste à voir si cette vision produira des jeux toujours aussi marquants, ou si elle sacrifiera l’âme au profit de la structure.
« Nothing is true. Everything is permitted. » – Une phrase culte, qui n’a jamais sonné aussi juste.
