Jeux Olympiques Esports: le CIO annule le partenariat avec l’Arabie saoudite

AuthorArticle written by Vivien Reumont
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Publication date04/11/2025

L’annonce a fait l’effet d’une détonation dans le paysage du sport numérique international. Le Comité International Olympique (CIO), qui avait officialisé à l'été 2024 un ambitieux partenariat avec l'Arabie saoudite pour organiser les tout premiers Jeux Olympiques Esports en 2027, vient tout juste de faire machine arrière. Un revirement inattendu, après une entente de douze ans censée marquer une nouvelle ère pour l’esport dans le giron olympique.

Cette annulation soulève de nombreuses questions : que s’est-il passé entre-temps ? Quelles en sont les conséquences pour le mouvement olympique, pour l’Arabie saoudite, et plus largement pour l’écosystème esportif mondial ? Et surtout, que réserve désormais l’avenir aux Olympic Esports Games ?

Entre enjeux diplomatiques, ambitions technologiques et pressions d’image, ce dossier s’est transformé en un cas d’école sur les difficultés d’intégration de l’esport dans les grandes institutions sportives traditionnelles. Décryptons ensemble ce retournement stratégique du CIO et les perspectives qu’il laisse entrevoir.

 

Contexte et genèse du partenariat

Pourquoi l’IOC s’est intéressé aux esports

Depuis plusieurs années, le Comité International Olympique explore de nouvelles façons d’attirer un public plus jeune et connecté. Dans cette quête de modernisation, l’esport s’est rapidement imposé comme un terrain d’expérimentation stratégique. Déjà en 2021, le CIO avait lancé les Olympic Virtual Series, un premier test numérique aux contours encore flous. Mais c’est en 2023 avec la tenue des Olympic Esports Week à Singapour que l’idée d’un véritable équivalent olympique pour les sports électroniques a pris de l’ampleur.

Le succès grandissant des compétitions d’esport, leur professionnalisation et l’émergence de communautés massives à travers le monde ont convaincu le CIO que l’esport n’était plus une simple tendance, mais un pilier du sport moderne. Toutefois, l’institution voulait à tout prix encadrer ce nouvel univers selon les valeurs de l’olympisme : inclusion, respect, excellence.

« Nous ne cherchons pas à simplement intégrer les jeux vidéo, mais à développer un format esport qui s’aligne avec les principes fondamentaux du mouvement olympique. » — Thomas Bach, président du CIO.

Le rôle de l’Arabie saoudite et l’accord de 12 ans

Dans cette optique, l’Arabie saoudite est apparue comme un partenaire de choix. Le pays, engagé depuis plusieurs années dans une politique d’investissement massif dans les sports et les loisirs numériques dans le cadre de son plan Vision 2030, ambitionne de devenir un leader mondial de l’esport. Avec la création de la Saudi Esports Federation et l’organisation de nombreux tournois internationaux, le royaume disposait des infrastructures, des financements et de la volonté politique pour accueillir un événement d’envergure.

En juillet 2024, le CIO et l’Arabie saoudite annonçaient donc un partenariat de 12 ans, avec un premier événement olympique esports prévu en 2027. Un calendrier ambitieux, adossé à une stratégie commune censée poser les fondations d’un format pérenne pour les prochaines décennies.

Ce partenariat devait marquer un tournant historique. Mais à peine quelques mois plus tard, le rêve se dégonfle.

 

Les modalités de l’accord initial

Calendrier prévu (2027, etc.)

Lorsque le partenariat a été dévoilé à l'été 2024, le Comité International Olympique et l’Arabie saoudite ont présenté une feuille de route structurée: les premiers Jeux Olympiques Esports devaient se tenir en 2027, dans une ville saoudienne encore à définir. Le projet allait bien au-delà d’un simple événement ponctuel. L’accord de 12 ans prévoyait une édition tous les quatre ans, à l’image des Jeux Olympiques traditionnels, avec des compétitions intermédiaires pour maintenir l’engagement de la communauté.

Le CIO voulait poser les bases d’un format compétitif unique, évitant les écueils classiques des tournois privés. Le calendrier s’alignait ainsi sur les grandes étapes du mouvement olympique, avec des phases de qualification mondiales, une sélection rigoureuse des jeux vidéo retenus et une cérémonie d’ouverture inspirée des Jeux d’été.

Mais cette temporalité ambitieuse cachait aussi de nombreux défis : standardisation des règles, choix des jeux compatibles avec les valeurs olympiques (exit les jeux trop violents), sécurisation des droits numériques, et surtout, acceptation par les fédérations sportives nationales.

Les objectifs affichés (engagement des jeunes, valeurs olympiques)

Officiellement, le CIO et ses partenaires ont insisté sur des objectifs nobles : utiliser l’esport comme un levier pour engager les jeunes générations, leur offrir une plateforme d’expression mondiale, et créer des passerelles entre sport traditionnel et sport numérique. Le président du CIO évoquait même « une révolution culturelle nécessaire pour ne pas laisser une génération entière en dehors du mouvement olympique. »

L’esport devait aussi permettre de valoriser des disciplines souvent délaissées, comme les sports motorisés virtuels, le tir à l’arc numérique ou encore les jeux de stratégie. Il s’agissait de transposer l’éthique olympique dans un langage moderne, à l’heure où TikTok, Twitch et YouTube redéfinissent les habitudes de consommation sportive.

L’Arabie saoudite, quant à elle, y voyait une opportunité de briller sur la scène internationale, d’attirer des talents, d’investir dans une économie numérique en pleine explosion… et de redorer son image globale, parfois écornée sur le plan des droits humains.

« Ce partenariat n’est pas qu’un investissement dans l’esport, c’est un investissement dans la jeunesse mondiale. » — Déclaration conjointe, CIO et Saudi Esports Federation, juillet 2024.

 

Les raisons de l’annulation

L’examen du dossier et le constat partagé

En octobre 2025, à la surprise générale, le Comité International Olympique annonce que le partenariat de 12 ans avec l’Arabie saoudite est rompu d’un commun accord. Un examen du dossier a été mené dans la discrétion, loin des projecteurs. Résultat : l’organisation estime que le projet, dans sa forme actuelle, ne correspond plus aux ambitions à long terme du Mouvement olympique.

Dans son communiqué, le CIO précise vouloir « élaborer une nouvelle approche pour organiser des compétitions d’esport », sans détailler les éléments ayant motivé cette décision. Il évoque tout de même le besoin d’un cadre plus inclusif et universel, capable de mieux diffuser les valeurs olympiques à travers le numérique.

Officiellement, il ne s’agit pas d’une rupture brutale, mais plutôt d’une redéfinition des priorités. Une manière élégante de sauver la face diplomatiquement, tout en reconnaissant que les attentes et les réalités opérationnelles divergeaient fortement entre les deux parties.

Les enjeux politiques, économiques et d’image

En coulisses, plusieurs facteurs ont sans doute pesé dans la balance. D’une part, la critique croissante à l’égard de la "sportswashing" — cette stratégie par laquelle certains États utilisent le sport pour redorer leur image — a probablement rendu ce partenariat de plus en plus difficile à défendre. L’Arabie saoudite, malgré ses investissements massifs dans le sport, reste très critiquée sur des questions de droits humains, de liberté d’expression et de parité hommes-femmes.

Pour une organisation aussi symbolique que le CIO, dont la légitimité repose en grande partie sur son image internationale, ce type d’alliance pouvait rapidement devenir contre-productive sur le plan médiatique.

D’autre part, des divergences sur le modèle économique et la gouvernance des Jeux pourraient aussi expliquer cette rupture. Le CIO, soucieux de conserver la main sur l’événement, aurait pu être confronté à une volonté de contrôle plus marquée de la part de ses partenaires saoudiens.

Enfin, sur le plan technique, l’absence de consensus sur la sélection des jeux vidéo admissibles, les éditeurs impliqués, et la gestion des données numériques aurait pu freiner les avancées concrètes.

 

Les conséquences pour l’IOC, l’Arabie saoudite et le secteur esports

Pour l’IOC: nouvelle stratégie, repositionnement

L’annulation du partenariat avec l’Arabie saoudite ne signe pas la fin des ambitions esports du Comité International Olympique, bien au contraire. Ce revirement ouvre la voie à un repositionnement stratégique: plutôt que de déléguer entièrement l’organisation des Jeux à un seul pays, le CIO envisagerait désormais un modèle plus ouvert, collaboratif et modulaire.

Cela pourrait passer par:

  • l’organisation de compétitions esports régionales ou continentales sous l’égide du CIO ;
  • une intégration progressive dans les Jeux Olympiques d'été ou d'hiver, sous forme de démonstrations officielles ;
  • ou encore la création d’une entité indépendante chargée de superviser les Olympic Esports Games, avec un mode de gouvernance plus participatif.

Ce repositionnement est aussi une opportunité pour le CIO de renouer avec ses propres principes: neutralité, diversité, et adaptation aux contextes géopolitiques sensibles. Il s'agit de trouver un terrain d'entente entre l’univers très libre et décentralisé de l’esport, et l'organisation très codifiée du sport olympique.

Pour l’Arabie saoudite: maintien de ses projets esports (ex: Esports World Cup)

Du côté de Riyad, l’annulation du partenariat ne semble pas remettre en cause les ambitions nationales en matière d’esport. La preuve : la Esports World Cup Foundation (EWCF) a d’ores et déjà confirmé que la Coupe du monde d’Esports retournera en Arabie saoudite en 2026, du 6 juillet au 23 août.

Cette compétition, largement financée par le gouvernement saoudien, regroupe les meilleurs joueurs et équipes mondiales sur des dizaines de jeux différents. Elle représente un pilier central de la stratégie "Vision 2030" et reste l’un des événements majeurs du calendrier esportif international.

Au-delà de la simple organisation de tournois, l’Arabie saoudite continue d’investir dans:

  • des infrastructures ultramodernes ;
  • la formation de talents locaux ;
  • et des partenariats technologiques avec des éditeurs majeurs.

Autrement dit, même sans les Jeux Olympiques Esports, Riyad entend bien rester un acteur central du gaming compétitif mondial. La rupture avec le CIO pourrait même offrir davantage de liberté au royaume pour façonner des événements selon ses propres standards, sans les contraintes institutionnelles du mouvement olympique.

 

Vers quoi s’oriente l’avenir des Jeux Olympiques Esports ?

Quelle nouvelle approche pour l’IOC ?

Loin d’abandonner le navire, le Comité International Olympique semble vouloir reprendre la main sur la direction artistique et structurelle des futurs Jeux Olympiques Esports. La mention d'une « nouvelle approche » dans leur déclaration officielle suggère un changement de paradigme: le CIO vise un modèle plus universel, flexible et conforme à l’éthique olympique.

Ce nouveau cap pourrait impliquer plusieurs axes:

  • Une organisation plus démocratique, impliquant plusieurs pays ou régions au lieu d’un unique hôte.
  • Un meilleur équilibre entre les jeux choisis, en veillant à représenter à la fois les disciplines sportives virtuelles (simulations sportives) et les formats compétitifs plus classiques (jeux de stratégie, jeux de tir non-violents, etc.).
  • Une collaboration plus étroite avec les éditeurs de jeux, pour garantir une compatibilité entre mécaniques de jeu et valeurs olympiques.
  • Une régulation plus poussée de la monétisation et des données, dans un souci de transparence et d’équité.

Plutôt que de calquer les Jeux Olympiques traditionnels, le CIO pourrait imaginer un format innovant propre à l’esport, plus fluide, numérique et évolutif.

Le secteur esports global et les opportunités à saisir

Ce retrait n’est pas nécessairement un frein au développement de l’esport olympique, mais un signal fort envoyé à toute l’industrie. Les grands acteurs du secteur (éditeurs, plateformes de streaming, équipes professionnelles, etc.) voient ici une occasion de contribuer à un nouveau standard mondial, porté par la rigueur du CIO et la puissance de son réseau.

De plus, l'annulation du partenariat met en lumière un point essentiel : l’esport a désormais atteint une maturité telle qu’il peut exiger des conditions de gouvernance transparentes, éthiques et inclusives pour intégrer des événements d'envergure mondiale.

Enfin, pour les fans comme pour les joueurs, cela ouvre la voie à des événements plus représentatifs, plus justes et mieux alignés avec la réalité du gaming moderne. L’esport n’a pas besoin de mimétisme: il a son identité propre, et les Olympic Esports Games doivent en être l’expression fidèle.

« Ce n’est pas parce que l’on ajoute "olympique" devant "esport" que cela suffit à convaincre les communautés. Il faut leur parler dans leur langue, avec leurs codes. » — Analyste esports, Berlin.

 


En quelques mots

L’annulation du partenariat entre le Comité International Olympique et l’Arabie saoudite pour l’organisation des Jeux Olympiques Esports marque un tournant stratégique, mais pas un abandon. Ce revirement révèle les tensions entre des ambitions globales, des valeurs institutionnelles fortes et des enjeux géopolitiques complexes.

Plutôt que de s’enfermer dans une collaboration contestée, le CIO choisit de réinventer son approche de l’esport, avec l’objectif de créer un modèle plus ouvert, équilibré et fidèle à l’esprit olympique. De son côté, l’Arabie saoudite confirme son statut d’acteur incontournable du gaming mondial, grâce à sa Coupe du monde d’Esports et à ses investissements soutenus.

Ce divorce contrôlé pourrait bien être, à terme, un mal pour un bien: il laisse entrevoir la possibilité d’un écosystème esports olympique plus légitime, plus crédible, et surtout, plus en phase avec les attentes de sa communauté mondiale.

L’esport continue son ascension. Et désormais, les Jeux Olympiques devront s’adapter à son rythme — pas l’inverse.

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