Ubisoft annule un Assassin’s Creed sur la Reconstruction à cause du climat politique

AutorArtículo escrito por Vivien Reumont
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Fecha de publicación09/10/2025

La franchise Assassin’s Creed a toujours su mêler habilement fiction et grandes pages de l’Histoire, n’hésitant pas à plonger ses joueurs dans les conflits les plus marquants du passé. Pourtant, si certains épisodes ont pu explorer des périodes aussi controversées que la Révolution française ou les croisades, un projet inédit semble avoir été jugé trop sensible pour voir le jour.

Selon les informations du site Game File, Ubisoft aurait récemment annulé un jeu Assassin’s Creed pourtant bien avancé. Ce dernier devait se dérouler dans l'Amérique post-guerre de Sécession, en pleine période de Reconstruction — un moment charnière de l’histoire américaine où les tensions raciales, sociales et politiques étaient à leur comble. Le protagoniste, un ancien esclave noir devenu Assassin, devait retourner dans le Sud des États-Unis pour y affronter des ennemis emblématiques de cette époque, comme le Ku Klux Klan.

Mais pourquoi un tel projet a-t-il été mis de côté ? Et que nous dit cette décision sur les choix éditoriaux d’Ubisoft à l’heure où le jeu vidéo peine encore à assumer son rôle de médium culturel engagé ? Plongée dans une affaire aussi politique que créative.

 

Le projet mystérieux: un Assassin’s Creed en reconstruction post‑guerre civile

Cadre historique: Reconstruction (1865‑1877)

La période dite de la Reconstruction, qui suit immédiatement la guerre de Sécession (1861–1865), est l’un des chapitres les plus complexes et tendus de l’histoire américaine. Après l’abolition de l’esclavage, les États-Unis tentent de réintégrer les anciens États confédérés tout en assurant de nouveaux droits aux Afro-Américains récemment affranchis. Un contexte explosif, marqué par la montée de la violence raciste, la création du Ku Klux Klan en 1865 et des luttes politiques acharnées sur l’avenir du pays.

Ubisoft aurait choisi cette toile de fond pour y ancrer un jeu Assassin’s Creed, un terrain historiquement riche, mais aussi profondément chargé émotionnellement et politiquement. À la manière de ce que la série a pu faire avec la Révolution américaine ou la Révolution haïtienne dans des contenus secondaires, ce nouvel épisode ambitionnait d’offrir une immersion dans une époque rarement traitée dans le média vidéoludique.

Le protagoniste espéré: ex‑esclave devenu Assassin

Selon les informations obtenues par Game File, le joueur aurait incarné un homme noir autrefois réduit en esclavage dans le Sud profond, avant de retrouver sa liberté à la fin du conflit. Recruté par la confrérie des Assassins, ce héros devait partir vers l’Ouest, en quête de reconstruction personnelle et collective, avant de retourner dans le Sud affronter les injustices persistantes.

Ce personnage, inédit dans la série, aurait représenté une tentative audacieuse de rendre visible une voix souvent absente dans les récits historiques mainstream. L’idée de faire incarner un ancien esclave dans un jeu d’action grand public ne va pas sans poser des questions complexes, mais aussi sans offrir un immense potentiel narratif et symbolique.

Missions narratives envisagées: retour dans le Sud, affrontement au Ku Klux Klan

Parmi les éléments évoqués dans les fuites, un arc narratif important devait se centrer sur la lutte contre l’émergence du Ku Klux Klan. Le joueur aurait mené des missions d’infiltration, de sabotage ou d’assassinat visant à affaiblir les cellules locales de cette organisation, tout en tissant des liens avec des figures historiques de la Reconstruction.

« Il retournerait dans le Sud pour lutter pour la justice dans un conflit qui le verrait, entre autres, affronter l’émergence du Ku Klux Klan », indique un témoignage rapporté par Game File.

Le jeu semblait donc assumer un positionnement fort, utilisant le gameplay classique de la franchise pour traiter d’un sujet brûlant: la violence raciale institutionnalisée dans l’après-guerre de Sécession.

 

Les sources et les témoignages internes

Le rôle de Game File et les entretiens confidentiels

C’est le site américain Game File, dirigé par le journaliste Stephen Totilo, qui a levé le voile sur ce projet avorté. Dans une enquête publiée début octobre 2025, cinq employés d’Ubisoft, encore en poste ou récemment partis, ont accepté de témoigner anonymement. Ces échanges ont permis de reconstituer les grandes lignes du jeu, son ambiance, mais surtout les raisons de son annulation.

L’article souligne que ce projet aurait été annulé à l’été 2024, alors qu’il était encore en préproduction, mais déjà bien défini sur le plan narratif. Ce choix n’a pas été communiqué publiquement par Ubisoft, d’où l’importance de ces fuites pour comprendre les tensions internes à l’entreprise.

Les arguments évoqués par les employés: Yasuke, le climat politique, la stratégie de l’éditeur

Trois des employés interrogés estiment que la décision d’Ubisoft a été directement influencée par la réception mitigée — voire hostile — de certains joueurs à l’égard du personnage de Yasuke dans Assassin’s Creed Shadows. Yasuke, samouraï d’origine africaine, est l’un des deux protagonistes jouables du prochain opus prévu pour novembre 2025, et son inclusion a généré de nombreuses polémiques, en particulier aux États-Unis.

Ubisoft aurait donc voulu éviter de « raviver la flamme » d’un débat similaire en lançant un autre jeu mettant en avant un héros noir dans un contexte historique chargé. Le tout dans un climat politique américain particulièrement tendu autour des questions raciales et mémorielles.

« La direction ne voulait pas revivre une nouvelle vague de backlash comme avec Shadows », explique l’un des développeurs à Game File. « Ils veulent des titres qui ne divisent pas l’audience. »

Les déclarations marquantes: « trop politique », « maintenir le statu quo »

Mais ce sont surtout les paroles amères de certains employés qui révèlent l’ambiance en interne. Un développeur interrogé par Game File n’a pas mâché ses mots:

« J’ai été terriblement déçu, mais pas surpris par les dirigeants. Ils prennent de plus en plus de décisions pour maintenir le statu quo politique, sans prendre position, sans prendre de risques, même sur le plan créatif. »

Ce témoignage met en lumière un malaise grandissant: alors que le jeu vidéo est capable de raconter des histoires puissantes et de questionner les récits dominants, certaines entreprises choisissent d’éviter toute prise de position, par peur des répercussions commerciales ou médiatiques.

 

Pourquoi Ubisoft aurait décidé d’annuler ce projet

Le retour de bâton autour de Yasuke dans Assassin’s Creed Shadows

Le backlash autour de Assassin’s Creed Shadows a clairement été un facteur déclencheur. L’annonce que Yasuke, un samouraï noir historique ayant réellement existé au Japon du XVIe siècle, serait l’un des deux héros jouables a provoqué une levée de boucliers dans certaines franges de la communauté. Accusations d’"anachronisme", de "wokisme", voire de "détournement culturel" ont fleuri sur les réseaux sociaux et forums spécialisés.

Ce tollé n’a pas laissé Ubisoft indifférent. Même si l’entreprise a maintenu sa ligne officielle en soutenant la direction artistique du jeu, en coulisses, cette controverse aurait renforcé une certaine frilosité. La crainte que l’histoire se répète, cette fois dans un contexte encore plus politiquement sensible (le racisme post-sécession et la Reconstruction), aurait été un frein majeur.

Le contexte politique américain: enjeu de réception publique

Le climat politique aux États-Unis joue un rôle clé dans cette affaire. L’Amérique est aujourd’hui traversée par des divisions profondes, où chaque prise de position sur des sujets historiques ou raciaux est scrutée, commentée et parfois instrumentalisée.

Dans ce contexte, publier un jeu où le Ku Klux Klan est un ennemi à abattre, et où un héros noir incarne la lutte pour la justice post-esclavagiste, représente un pari risqué. Certains secteurs de la population pourraient percevoir cela comme une provocation, ou comme une prise de position politique trop affirmée pour une entreprise de divertissement grand public.

« Ubisoft a peur de l’image qu’un tel jeu renverrait dans les médias américains, surtout à l’approche de l’élection présidentielle », note un des développeurs interrogés.

Risques commerciaux et prudence éditoriale

Au-delà de la politique, ce sont les enjeux commerciaux qui priment. Assassin’s Creed est l’une des plus grosses franchises d’Ubisoft, et chaque opus mobilise des budgets colossaux. L’éditeur a donc tout intérêt à assurer un retour sur investissement maximal, sans prendre de risques qui pourraient nuire aux ventes.

Annuler ce projet — encore au stade de concept narratif — permettait à Ubisoft d’éviter toute polémique médiatique ou boycott. Une décision qui s’inscrit dans une tendance plus large de prudence éditoriale chez les grands studios, où le moindre potentiel de controverse devient un critère de tri.

 

Réactions et implications pour l’industrie du jeu vidéo

Réactions de la communauté: frustration, débats sur la « censure politique »

Depuis la révélation de cette annulation, les réactions ne se sont pas fait attendre sur les réseaux sociaux. Une partie des joueurs exprime leur frustration face à ce qu’ils perçoivent comme de la censure préventive. Pour ces voix critiques, Ubisoft aurait dû aller au bout de son intention initiale, quitte à provoquer le débat.

D’autres, au contraire, saluent la prudence de l’éditeur, estimant que le jeu aurait pu raviver des tensions ou être instrumentalisé à des fins politiques. Mais dans l’ensemble, la tendance est plutôt à la déception, notamment chez les joueurs afro-américains et les communautés historiquement sous-représentées, qui voient dans cette décision une occasion manquée de raconter une histoire puissante et nécessaire.

« Un Assassin’s Creed qui affronte le Klan ? C’est littéralement ce que la série devrait faire: nous plonger dans l’Histoire, même quand elle dérange », peut-on lire sur X (ex-Twitter), dans un message largement relayé.

Précédents et parallèles: quand les éditeurs s’autocensurent

Cette affaire n’est pas isolée. L’industrie vidéoludique a souvent dû composer avec les sensibilités du public, surtout dans les marchés dominants comme les États-Unis ou la Chine. Des jeux comme Six Days in Fallujah ou Spec Ops: The Line ont illustré les tensions que peut générer la représentation de conflits réels ou de thèmes sensibles.

Ubisoft elle-même n’en est pas à son premier pas de côté. Par le passé, l’éditeur a souvent adopté une position de neutralité affichée, refusant de commenter les implications politiques de ses jeux. The Division, Far Cry 5, ou même Watch Dogs ont tous été accusés de faire semblant d’être « apolitiques » tout en mettant en scène des réalités sociales ou politiques explosives.

Que perd le jeu vidéo quand on évite les sujets sensibles ?

La décision d’annuler ce Assassin’s Creed pose une question cruciale: le jeu vidéo est-il condamné à rester en surface dès que les enjeux deviennent trop brûlants ? En refusant d’explorer des récits liés à l’oppression raciale, aux luttes pour la justice, ou à l’histoire des minorités, les studios se privent non seulement d’un potentiel créatif immense, mais aussi de leur rôle culturel grandissant.

Le jeu vidéo n’est plus seulement un divertissement. Il est aussi un espace de mémoire, d’exploration identitaire et de transmission historique. À ce titre, le choix d’Ubisoft sonne comme un recul, voire une abdication face aux conservatismes.

« Les développeurs veulent raconter des histoires fortes. Mais ce sont les départements marketing qui décident ce qui est "acceptable". Et c’est tout le problème », déplore un ex-employé du studio.

 


En quelques mots

L’annulation de cet épisode d’Assassin’s Creed, pourtant riche de promesses narratives et historiques, illustre les tensions croissantes entre créativité, sensibilité politique et logique commerciale. Ubisoft, en renonçant à un projet qui aurait mis en lumière une période rarement explorée du passé américain à travers le regard d’un ancien esclave devenu Assassin, choisit la prudence à l’heure des polémiques virales.

Mais ce choix soulève une interrogation plus large: jusqu’où les grands studios de jeux vidéo peuvent-ils — ou doivent-ils — s’engager dans des récits à portée politique ou sociale ? Faut-il s’auto-censurer pour plaire à tous, ou risquer de diviser pour faire avancer le médium ?

Entre opportunité manquée et miroir d’une industrie frileuse, cette affaire pourrait bien marquer un tournant dans la façon dont le jeu vidéo aborde son rapport à l’Histoire et aux luttes contemporaines.

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