Procès Ubisoft: les ex-cadres jugés pour harcèlement face à la justice

AutorArtículo escrito por Vivien Reumont
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Fecha de publicación08/06/2025
Montage promotionnel mettant en avant plusieurs licences phares de l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft. L’image est divisée en cinq sections verticales, chacune représentant un personnage emblématique d’une franchise Ubisoft. À gauche, un agent équipé de lunettes de vision nocturne aux trois lentilles vertes brillantes, issu de la série "Splinter Cell". À côté, un personnage au look futuriste avec des dreadlocks et des piercings, illustrant le style graphique de "Roller Champions" ou d’un jeu de sport futuriste. Au centre, un assassin encapuchonné portant une tenue blanche et un foulard rouge, représentatif de la franchise "Assassin’s Creed". À droite de lui, un personnage de type Na’vi à la peau bleue et aux traits félins, probablement du jeu "Avatar: Frontiers of Pandora". Enfin, à l’extrême droite, un singe anthropomorphe expressif, muni d’équipement et de vêtements de récup, venant probablement du jeu "Beyond Good & Evil 2". Au premier plan et centré, le logo d’Ubisoft, une spirale blanche stylisée accompagnée du nom "UBISOFT" en lettres capitales blanches, ressort sur les différentes illustrations en arrière-plan.

Depuis plusieurs années, l’industrie du jeu vidéo n’échappe plus aux remous provoqués par les mouvements de libération de la parole sur les abus en entreprise. Le géant français Ubisoft, longtemps érigé en modèle de réussite vidéoludique, se retrouve aujourd’hui sous les feux des projecteurs judiciaires. Au tribunal correctionnel de Bobigny, trois anciens hauts cadres de la société sont jugés pour des faits de harcèlement sexuel et moral.

Le jeudi 5 juin 2025, des peines allant jusqu’à trois ans de prison avec sursis ont été requises à l’encontre des prévenus, notamment contre Thomas François, ancien vice-président du service éditorial d'Ubisoft. À travers ce procès, c’est toute une culture d’entreprise et des pratiques longtemps tolérées dans le secteur qui se retrouvent questionnées. Entre justifications maladroites et remise en cause de comportements passés, cette affaire met en lumière les limites d’une époque où certains pensaient encore que la "culture geek" pouvait tout excuser.

Mais peut-on réellement invoquer le changement des temps pour minimiser des faits de harcèlement ? C’est tout l’enjeu du débat qui anime aujourd’hui non seulement le tribunal, mais aussi l'ensemble de l’industrie vidéoludique.

 

Le contexte du procès: Ubisoft face à ses démons

Une entreprise secouée par les scandales depuis 2020

Le procès qui se déroule aujourd’hui à Bobigny est le prolongement judiciaire d’une crise profonde qu’Ubisoft traverse depuis 2020. Cette année-là, des révélations massives publiées dans la presse et relayées sur les réseaux sociaux ont mis en lumière une culture toxique au sein de l’entreprise. Plusieurs témoignages d’employés — femmes et hommes — ont dénoncé un climat de harcèlement moral, sexuel et de discriminations entretenu au fil des années par certains hauts responsables.

Face à l’ampleur du scandale, Ubisoft avait tenté de réagir en licenciant ou poussant à la démission plusieurs cadres. Des mesures de "réforme de la culture d’entreprise" avaient été annoncées en interne, avec la mise en place de cellules d’écoute et de médiation. Mais pour beaucoup de salariés et d’observateurs extérieurs, ces mesures arrivaient tardivement et peinaient à corriger des années d’impunité et de pratiques abusives.

Les accusations précises portées contre les trois anciens cadres

Le procès concerne trois ex-dirigeants, parmi lesquels Thomas François, surnommé "Tommy", figure centrale de cette affaire. À lui seul, il concentre une large partie des accusations, étant poursuivi pour harcèlement moral et sexuel ainsi que pour une tentative présumée d’agression sexuelle. Deux autres ex-cadres sont également jugés pour harcèlement moral.

Selon les témoignages recueillis, les faits reprochés s’étalent sur plusieurs années et dessinent un tableau inquiétant: comportements déplacés, remarques sexistes, blagues graveleuses, abus de pouvoir et pressions psychologiques au sein des équipes. L’accusation estime que les prévenus ont exploité leur position hiérarchique pour instaurer un climat d’intimidation et de malaise durable auprès de leurs collaborateurs, principalement des femmes.

Le tribunal devra trancher sur des faits qui, selon le procureur, étaient déjà répréhensibles à l’époque des faits, balayant ainsi la défense basée sur un supposé changement des normes sociales.

 

Des justifications qui interrogent: « Les temps ne sont plus les mêmes »

La défense des prévenus: amnésie, quiproquo et culture geek

Face aux accusations, les trois anciens cadres d’Ubisoft ont adopté des lignes de défense similaires, oscillant entre minimisation des faits, déni partiel et tentatives de justification. Thomas François, en particulier, a expliqué au tribunal:

« Je comprends bien que tout ça est inacceptable aujourd’hui, mais, à l’époque, je ne me posais pas la question. »

Se retranchant derrière la "culture geek" qui régnait au sein de l’entreprise, il a tenté de présenter certains comportements comme des maladresses ou des traits d’une ambiance de travail informelle propre au milieu du jeu vidéo. Les autres prévenus ont eux aussi évoqué des "malentendus", des "quiproquos", ou des souvenirs flous d’événements parfois anciens.

Cette stratégie défensive, fondée sur une forme d’amnésie sélective et la relativisation des faits en fonction de l’époque, vise à laisser entendre que ces comportements n’étaient pas perçus comme problématiques à ce moment-là. Une position qui, pour beaucoup d’observateurs, traduit surtout une difficulté à assumer la gravité des faits reprochés.

La réponse ferme du procureur

Le procureur du tribunal correctionnel de Bobigny n’a pas laissé place à l’ambiguïté. Dans son réquisitoire, il a rappelé que le cadre légal du harcèlement existait déjà au moment des faits, et que ce n’est pas le mouvement #MeToo qui a créé ces interdits:

« #MeToo n’est pas un changement de paradigme ou un abaissement soudain du seuil de tolérance. C’est une libération de la parole. Il n’est pas question de faits qui n’étaient pas répréhensibles à l’époque et qui le sont soudainement devenus, mais de faits qui sont répréhensibles depuis toujours. »

Des peines allant jusqu’à trois ans de prison avec sursis ont ainsi été requises, soulignant la gravité des faits malgré la reconnaissance partielle et tardive des prévenus.

Cette position ferme envoie un signal clair: il n’existe aucune justification professionnelle, créative ou culturelle pour expliquer ou excuser le harcèlement.

 

Les enjeux pour Ubisoft et l’industrie du jeu vidéo

Une image ternie auprès du public et des salariés

Au-delà du volet judiciaire, ce procès pèse lourdement sur l’image d’Ubisoft. Depuis les premières révélations en 2020, la réputation du studio s’est fortement dégradée, tant auprès du grand public que de ses propres employés. Ubisoft, autrefois fleuron de l’industrie française et internationale du gaming, est désormais associé à une culture d’entreprise toxique, où les dérives ont longtemps été tolérées, voire encouragées.

Pour beaucoup de salariés, ces affaires ont aussi mis en lumière un système de gestion interne où les ressources humaines et la direction ont trop souvent couvert les comportements problématiques de certains dirigeants. Cette perte de confiance interne a généré des vagues de départs massifs, des difficultés à recruter et à conserver les talents, ainsi qu’une ambiance délétère persistante au sein de plusieurs studios.

La question de la responsabilité des dirigeants

L’affaire soulève également la question de la responsabilité des plus hauts dirigeants d’Ubisoft, et en particulier de son PDG, Yves Guillemot. Bien qu’il ne soit pas personnellement poursuivi, son rôle et sa connaissance des pratiques en interne ont été interrogés par les salariés et les médias. Plusieurs rapports ont évoqué des alertes internes restées sans suite, alimentant l’idée d’une forme de culture de l’impunité au sommet de l’entreprise.

Pour l’ensemble de l’industrie du jeu vidéo, cette affaire fait figure de signal d’alarme. Elle rappelle combien des environnements de travail dérégulés, où la créativité et l’urgence de production servent de prétexte à tous les comportements, peuvent rapidement dériver en zones grises où le harcèlement s’installe insidieusement.

Comme l’a résumé un observateur de l’industrie:

« Le gaming n’est pas un Far West créatif où tout est permis. C’est une industrie comme les autres, où les lois et le respect doivent primer. »

 

La libération de la parole dans le milieu du gaming

Le rôle du mouvement #MeToo

L’affaire Ubisoft s’inscrit dans un contexte plus large de libération de la parole qui touche depuis quelques années l’ensemble du secteur culturel et technologique. Avec le mouvement #MeToo, de nombreuses victimes ont osé briser le silence autour de comportements abusifs longtemps tolérés dans les entreprises.

Dans le jeu vidéo, un milieu historiquement masculin et très compétitif, la parole des victimes était d’autant plus difficile à faire entendre. Les premiers témoignages contre Ubisoft ont ainsi ouvert une brèche. D’autres studios, comme Riot Games ou Activision Blizzard, ont depuis été éclaboussés par des scandales similaires, révélant des pratiques généralisées de harcèlement, de sexisme systémique et de management toxique.

#MeToo dans le jeu vidéo a mis en lumière une culture profondément enracinée où les relations de pouvoir déséquilibrées et la glorification de certaines figures charismatiques ont créé un terreau favorable aux abus. Ce procès est donc perçu comme une étape symbolique majeure dans la volonté de transformation de l’industrie.

Vers une nouvelle culture d’entreprise dans le jeu vidéo ?

Face à la gravité des faits révélés, certaines entreprises du secteur ont entamé des réformes structurelles: création de cellules d’écoute, révision des procédures internes de signalement, formation obligatoire sur le harcèlement, et renouvellement partiel des équipes dirigeantes.

Ubisoft a lui-même multiplié les annonces de réorganisation de ses ressources humaines et de formation managériale. Toutefois, pour beaucoup de salariés et de syndicats du secteur, ces mesures restent encore insuffisantes tant que des responsabilités individuelles et systémiques ne sont pas pleinement assumées.

Le procès de Bobigny pourrait ainsi faire figure de jurisprudence et de tournant culturel: il rappelle que l’industrie du gaming, à l’image d’autres secteurs, doit impérativement s’adapter à des normes de respect et d’éthique bien plus strictes qu’auparavant.

Comme l’a souligné un avocat des parties civiles:

« Ce n’est pas la création qui autorise la destruction des individus. »

 


En quelques mots

Le procès des anciens cadres d’Ubisoft marque un moment charnière pour l’industrie vidéoludique française et internationale. Il démontre qu’aucune créativité, aussi brillante soit-elle, ne saurait servir de bouclier face aux accusations de harcèlement moral et sexuel. Les maladroites justifications des prévenus, invoquant un supposé changement des mœurs, n’ont pas convaincu la justice, qui rappelle que le respect et la dignité des salariés sont des valeurs intangibles depuis toujours.

Au-delà du simple cas Ubisoft, c’est toute une culture d’entreprise propre au secteur du jeu vidéo qui est aujourd’hui questionnée. Les initiatives récentes de certaines firmes vont dans le bon sens, mais une véritable transformation ne pourra avoir lieu qu’à travers une prise de responsabilité totale, des mécanismes de prévention efficaces et une tolérance zéro vis-à-vis des comportements abusifs.

La décision du tribunal, attendue pour le 2 juillet, sera observée de près et pourrait bien constituer un précédent important dans la nécessaire évolution des pratiques managériales du jeu vidéo.

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