
Alors que l’industrie du jeu vidéo traverse une période de turbulences marquée par les licenciements massifs et les restructurations, Eidos‑Montréal est de nouveau au cœur de l’actualité. Le studio, connu pour ses franchises emblématiques comme Deus Ex et Shadow of the Tomb Raider, est cette fois cité dans une rumeur qui fait frissonner les nostalgiques : il aurait travaillé en secret sur un reboot de Legacy of Kain.
C’est le site Insider Gaming qui a révélé cette information, quelques heures seulement après l’annonce d’une nouvelle vague de licenciements chez le studio. Selon leurs sources, ce reboot aurait été bien plus qu’un simple concept : un projet actif, au développement bien avancé, mais finalement annulé après le rachat par le groupe Embracer en mai 2022.
Ce projet aurait porté le nom de code « P17 », en référence à sa place dans la liste des projets internes du studio. Si l'information venait à être confirmée, cela représenterait non seulement une énorme opportunité manquée pour les fans de la série, mais également un symbole des tensions grandissantes entre ambitions créatives et stratégies économiques dans l’industrie du jeu vidéo.
Le rachat par Embracer — promesses et réalités
Pourquoi Embracer a acheté Eidos‑Montréal
En mai 2022, le groupe suédois Embracer annonçait un coup de tonnerre dans le paysage vidéoludique : l’acquisition de plusieurs studios de renom autrefois détenus par Square Enix, dont Eidos‑Montréal, Crystal Dynamics et Square Enix Montréal, pour un montant relativement modeste de 300 millions de dollars. Ce rachat comprenait également un trésor de guerre bien plus stratégique : un catalogue prestigieux de licences historiques, telles que Tomb Raider, Deus Ex, Thief, et bien sûr Legacy of Kain.
Officiellement, Embracer souhaitait exploiter ces franchises dormantes tout en donnant une nouvelle impulsion aux studios rachetés. L’enthousiasme était palpable du côté des développeurs comme des fans, certains y voyant une opportunité pour ressusciter des licences cultes et offrir un nouveau souffle créatif à des studios qui, jusque-là, semblaient parfois muselés par la vision plus rigide de Square Enix.
“Nous voyons un potentiel extraordinaire dans les jeux de ces studios et sommes impatients de les aider à libérer leur créativité”, avait déclaré un porte-parole d’Embracer à l’époque.
Les changements internes après le rachat
Mais très vite, les promesses ont laissé place à une réalité plus austère. À peine la transaction finalisée en août 2022, une série de réorganisations internes a commencé à prendre forme. Embracer, déjà connu pour sa politique d’acquisitions massives et son appétit de croissance rapide, a commencé à rationaliser les rôles de ses studios.
Eidos‑Montréal, que beaucoup imaginaient relancer une franchise comme Legacy of Kain, a vu son rôle peu à peu réduit à celui de “studio support”. Plutôt que de développer ses propres AAA, il s’est retrouvé à collaborer sur des projets externes : aide au développement de Fable (reboot chez Playground Games), soutien sur Grounded 2, et même un partenariat avorté avec Kojima Productions pour le mystérieux jeu OD.
La décision de confier la franchise Legacy of Kain à Crystal Dynamics — un autre studio du giron Embracer — a été le premier signe tangible d’un changement de stratégie. Résultat : l’annulation pure et simple du projet interne d’Eidos‑Montréal, malgré une année de développement jugée prometteuse.
Le projet “Secret” — reboot de Legacy of Kain par Eidos‑Montréal
Origine de la rumeur et ce que l’on sait
La rumeur est apparue à un moment délicat : le lendemain d'une nouvelle série de licenciements chez Eidos‑Montréal. Elle a été relayée par Insider Gaming, site généralement bien informé, qui cite des sources internes et des éléments croisés à partir de CV d’anciens employés du studio. Ces documents évoquaient le développement d’un ARPG dark fantasy, et le nom de code “P17”, correspondant au 17ᵉ projet du studio.
Très vite, les fans les plus attentifs ont fait le lien avec Legacy of Kain, une série culte mêlant action, gothique et narration complexe, laissée en sommeil depuis de nombreuses années. Et selon plusieurs indices, ce fameux “P17” n’était pas un simple concept, mais un véritable soft reboot : une réinvention douce, modernisant l’univers sans le trahir, dans l’esprit d’un God of War (2018) ou d’un Resident Evil 2 Remake.
Le développement aurait été lancé avant le rachat par Embracer, et duré près d’un an, à un rythme qualifié de « très satisfaisant » selon les sources internes. L’équipe semblait croire au projet, portée par la richesse de l’univers original, mais aussi par la soif du public pour un retour d’une série aussi mythique.
Pourquoi le projet a-t-il été annulé ?
Malheureusement, les espoirs ont rapidement été balayés par une décision purement stratégique. Une fois le studio passé sous le pavillon d’Embracer, la franchise Legacy of Kain a été transférée à Crystal Dynamics, un autre studio du groupe, avec une expertise reconnue pour les reboots (notamment Tomb Raider).
Ce transfert a entraîné l’annulation immédiate du projet “P17” chez Eidos‑Montréal. Une décision qui a frustré les développeurs, d’autant plus qu’aucun projet équivalent n’a, à ce jour, été officialisé du côté de Crystal Dynamics.
“C’est un exemple parfait de comment une restructuration mal gérée peut étouffer un projet plein de potentiel”, confie une source anonyme au site Insider Gaming.
Le projet rebooté, qui semblait cocher toutes les cases — intérêt historique, base de fans fidèles, univers adaptable aux tendances modernes — a été sacrifié au nom de la cohérence stratégique d’un groupe qui préfère regrouper ses licences chez certains studios clés.
Contexte plus large : crise chez Eidos‑Montréal et réorientations stratégiques
Vagues de licenciements récurrentes
La rumeur autour du reboot avorté de Legacy of Kain n’est qu’un symptôme d’un malaise plus profond au sein de Eidos‑Montréal. Depuis son rachat, le studio fait face à une série de restructurations qui n’ont cessé de fragiliser ses équipes. La dernière vague de licenciements, annoncée fin 2025, a touché de nombreux départements, alimentant un climat d’incertitude généralisée.
C’est loin d’être un cas isolé : la maison-mère Embracer est actuellement engagée dans une vaste stratégie de réduction des coûts. Après une période d’expansion frénétique (plus de 100 studios rachetés en quelques années), le groupe suédois a dû revoir ses ambitions à la baisse, provoquant l’annulation de dizaines de projets et la fermeture de plusieurs studios, y compris des noms établis comme Volition (créateurs de Saints Row).
Eidos‑Montréal, malgré son statut historique et ses réussites passées, n’a pas été épargné. De plus en plus, le studio semble pris au piège d’une vision financière qui privilégie les économies à court terme aux projets audacieux à long terme.
Un rôle de “studio support” plus qu’un créateur de AAA ?
Après l’annulation du projet P17, Embracer n’a pas cherché à rediriger Eidos‑Montréal vers une autre création originale. À la place, le studio a été intégré dans des équipes de soutien pour des projets extérieurs. Il a ainsi travaillé aux côtés de Playground Games sur le très attendu Fable, et avec Obsidian sur Grounded 2.
Il aurait même été envisagé de collaborer avec Kojima Productions sur OD, un projet particulièrement ambitieux et mystérieux. Toutefois, cette initiative a échoué, principalement à cause du refus des développeurs de se relocaliser au Japon, une exigence posée pour cette collaboration.
Ce repositionnement progressif transforme Eidos‑Montréal d’un studio créatif à un sous-traitant de luxe, un mouvement mal vécu en interne par plusieurs équipes historiquement attachées à leur indépendance artistique.
“On est passés d’un studio capable de porter seul une licence comme Deus Ex, à une équipe d’appoint pour les projets des autres. C’est frustrant”, aurait confié un ancien employé selon plusieurs sources anonymes.
Ce que cette annulation signifie pour Legacy of Kain (et les fans)
Une licence culte toujours en suspens
Legacy of Kain n’est pas une série anodine. Depuis Blood Omen en 1996 jusqu’à Defiance en 2003, la franchise a marqué des générations de joueurs par son univers gothique, ses personnages torturés (Raziel, Kain) et sa narration dense. L’annonce, même officieuse, d’un reboot avait donc provoqué une onde de choc mêlée d’espoir dans la communauté.
Et pourtant, malgré cet attachement fort, la franchise reste au point mort. Hormis une tentative annulée (Dead Sun par Climax Studios en 2012) et une incursion multijoueur vite oubliée (Nosgoth), Legacy of Kain n’a jamais réussi à revenir durablement sur le devant de la scène.
Certes, des signes encourageants sont apparus, comme la sortie remasterisée de Soul Reaver 1 & 2 fin 2024. Cela montre que l’éditeur reconnaît la valeur de la licence. Mais cela reste une démarche à faible engagement : une réédition au lieu d’un vrai renouveau.
“Legacy of Kain mérite un retour en force, pas juste un filtre HD sur des classiques”, selon un commentaire très partagé sur Reddit.
Entre espoirs de fans et logique économique
Pour les fans, l’annulation du reboot développé par Eidos‑Montréal est un véritable crève-cœur. Il incarnait l’espoir d’un retour sérieux, ambitieux, porté par un studio compétent et passionné. L’abandon de ce projet envoie un message amer : même une licence emblématique ne suffit plus si la logique économique ne suit pas.
Pour Embracer, le raisonnement est simple : réduire les risques, regrouper les projets autour de studios “prioritaires” (comme Crystal Dynamics) et éviter de disperser les ressources. Du point de vue business, cela semble cohérent. Mais cela souligne un paradoxe cruel : plus une licence est ancienne et complexe, plus elle est difficile à relancer, car plus coûteuse à adapter aux standards modernes.
Les espoirs reposent désormais sur Crystal Dynamics, mais aucune information officielle ne vient pour l’instant confirmer un quelconque reboot. L’ombre de Kain continue de planer… mais reste inaccessible.
Pourquoi cette affaire illustre les tensions actuelles du marché AAA
Poids des gros groupes et restructurations fréquentes
Le cas d’Eidos‑Montréal et de son reboot avorté de Legacy of Kain n’est pas une exception. Il reflète une tendance structurelle dans l’industrie du jeu vidéo : l’emprise croissante de grands groupes financiers sur des studios créatifs. Embracer, comme Tencent, Microsoft ou Sony, gère désormais des portefeuilles de dizaines de studios — ce qui implique des stratégies d’optimisation, souvent au détriment de la liberté artistique.
Résultat : même des projets prometteurs, bien lancés, peuvent être stoppés du jour au lendemain s’ils ne s’inscrivent pas dans les priorités du groupe. Cette approche, très répandue dans d’autres industries, fragilise les cycles de création du jeu vidéo, surtout dans le secteur AAA, où les budgets se chiffrent en centaines de millions de dollars.
Le rêve du grand retour d’une licence culte, soutenu par un studio talentueux ? Cela ne suffit plus. Il faut aussi que cela rentre dans une ligne budgétaire optimisée, cohérente avec des objectifs trimestriels.
Le coût des licences cultes vs la prudence financière
Legacy of Kain est l’exemple parfait du dilemme contemporain : un nom fort, une base de fans engagée, un univers riche, mais un retour complexe à orchestrer. Rebooter une telle franchise demande non seulement un gros investissement technique et narratif, mais aussi une communication soignée pour séduire à la fois les anciens joueurs et une nouvelle génération.
Pour des groupes comme Embracer, dont le modèle est de minimiser les risques, ce type de pari peut sembler peu attractif. Ils préfèrent souvent miser sur des licences aux codes plus universels ou des collaborations avec des partenaires établis (comme Xbox ou Nintendo), au lieu de raviver des IP “niche”, aussi brillantes soient-elles.
“Le jeu vidéo est devenu un jeu de chiffres, pas toujours de passions”, disent certains analystes de l’industrie.
Ce contexte explique pourquoi tant de franchises cultes des années 1990-2000 restent dans les limbes. Les studios qui osent encore les réactiver (comme Capcom avec Resident Evil ou Square Enix avec Final Fantasy VII Remake) le font avec des budgets massifs, une communication millimétrée… et la peur de l’échec toujours en embuscade.
En quelques mots
L’annulation du reboot de Legacy of Kain par Eidos‑Montréal est plus qu’un simple fait divers dans l’industrie : c’est le reflet d’un écosystème vidéoludique en pleine mutation, où la logique économique prime souvent sur la vision créative. Ce projet, qui aurait pu signer le retour d’une licence mythique, s’est retrouvé broyé dans les rouages d’une stratégie de groupe axée sur la réduction des risques et la rentabilité rapide.
Pour les joueurs, c’est une déception de plus, une occasion manquée. Pour Eidos‑Montréal, c’est un virage forcé vers un rôle de soutien, loin de ses ambitions passées. Et pour Embracer, c’est une manœuvre stratégique cohérente mais qui laisse un goût amer aux passionnés.
En somme, l’histoire du projet P17 n’est pas qu’un rêve perdu dans les brumes de Nosgoth. Elle pose une question cruciale : combien d’autres univers fantastiques resteront à jamais dans l’ombre parce qu’ils ne rentrent pas dans les tableaux Excel ?